Cela faisait dix ans que le Toxic Avenger avait été absent, hormis quelques courtes apparitions dans d'autres productions de Troma, mais à l'aube du nouveau millénaire, après bien d'autres réalisations d'un tout aussi mauvais goût telles que Tromeo & Juliet ou Terror firmer, Lloyd Kaufman fait revenir pour de bon sur le grand écran le super-héros du New Jersey devenu le symbole de sa société de production, et qui avait donné un coup de pouce à sa carrière à ses débuts.
Le titre du précédent épisode, The last temptation of Toxie, faisait référence au film de Scorsese sur le Christ, sans qu'on puisse donner de réelle signification à ce détournement. Pour Citizen Toxie, puisque le scénario n'a aucun rapport avec la création la plus célèbre d'Orson Welles, à l'exception d'une courte référence au détour d'une scène, il est possible d'y voir une tentative non pas d'égaler ce chef d'oeuvre, mais de faire à Troma l'équivalent de ce que Citizen Kane est au cinéma.
Dans l'introduction, Lloyd Kaufman balaie d'un coup les deux précédents films, les qualifiant de "suites pourries" et dont il s'excuse. Il est surprenant qu'il dénigre soudainement ses oeuvres, lui qui habituellement se démène pour vendre tous ses films, mais quand bien même le créateur en viendrait à rejeter trop vite ce qu'il a réalisé et qui est loin d'être aussi mauvais qu'il le prétend, le public n'est pas obligé de partager son avis ; toutefois cela place la barre plus haut pour ce nouvel opus qui nous est donc présenté comme surpassant ce qui a été vu précédemment dans la saga.
Dans les années 2000, les spectateurs seraient en droit d'attendre de la part de Troma une amélioration dans la qualité vidéo, et c'est le premier élément qui frappe puisqu'il est visuel : l'image ne s'est que peu améliorée au fil des années, et malgré la réputation croissante de la société, leur budget reste visiblement très réduit. Le montage et le mixage du son, très chaotiques, participent aussi à rappeler un manque de moyens, du moins au début, puisqu'ils s'améliorent ensuite, et le monteur a su finalement jongler avec les plans sous différents angles de façon dynamique, et dans l'une des scènes de combat les plus marquantes il ose même des split-screens en pagaille mais à l'organisation maîtrisée.
Quoiqu'il en soit, peu importe la quantité d'argent à disposition, tant qu'est conservé ce qui a jusque là a fait oublier le faible budget dans les films du Toxic Avenger : l'esprit "Troma".
En 1998 sortait Terror firmer, dont le scénario incluait une grande mise en abyme de la société de production, avec Lloyd Kaufman jouant presque son propre rôle, en interprétant un réalisateur aveugle donnant naissance au nouveau chapitre des aventures de Toxie. Cette oeuvre décalée avait alors été considérée à l'époque comme le film Troma ultime, mais Citizen Toxie le détrône, imposant avec plus de puissance ce qu'est l'essence même de cette maison de production.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce nouvel ajout à la série accomplit l'exploit d'être encore plus fous que ses prédécesseurs, les surpassant en concentrant tout ce qu'ils ont toujours contenu de plus douteux, et en y ajoutant de nouveaux éléments qui vont bien plus loin que tout ce que les scénaristes avaient osé jusque là.
Le film s'attaque à des sujets sensibles récents, et notamment se moque sans ménagements du massacre de Columbine, mais derrière la légère dénonciation se trouve surtout un goût malsain pour la provocation violente et gratuite.
Le tournage a été effectué avant les attentats du 11 septembre, les tours jumelles sont d'ailleurs encore visibles dans un plan de New York, sans quoi le film aurait très certainement tourné en ridicule cet autre évènement d'actualité.
Sans raison, totalement arbitrairement, les nouvelles cibles de Kaufman et sa bande sont les attardés, les personnes âgées, les transsexuels, la chirurgie esthétique excessive, et la religion. Cette dernière se fait brutalement saccager, et il est incroyable de voir à quel point l'audace des scénaristes va loin, c'est à se demander à certains moments comment il leur a été possible de placer une insolence telle dans leur film.
Comme dans les épisodes précédents, il y a également cette volonté de se moquer du cinéma et de soi-même, avec un usage de stock-shots qui assume son ridicule, notamment avec le fameux plan de la voiture qui décolle puis explose inexplicablement, déjà utilisé dans Tromeo & Juliette, Sgt. Kabukiman NYPD et Terror firmer, qui est encore une fois repris ici. L'origine du placement de ces images dans ce nouveau film n'est pas si honnête que ça, puisque Kaufman est allé jusqu'à tourner de nouvelles images avec un clown pour justifier sa présence dans les plans de la poursuite et de la cascade en voiture et faire correspondre les images recyclées avec celles inédites, mais par chance il semblerait que l'équipe ait changé d'avis d'ici la post-production et le résultat final fonctionne sans que le spectateur pense que l'on ait voulu le berner, puisqu'il ressort surtout une impression d'auto-dérision de la part de l'équipe de Troma. Ils jouent encore une fois avec les principes du cinéma en faisant ce qu'il ne faut pas, mais sans chercher à dissimuler une tromperie, puisqu'ils laissent à comprendre qu'ils sont conscients de ce qu'ils font.
Avec Troma, l'usage du stock-shot perd sa caractéristique purement nanarde liée à son intention d'embobiner le spectateur, mais d'autres figures plus "nobles" sont aussi détournées, comme la traduction en langage des signes pour les sourds, et la transition en iris, qui voit sûrement ici son utilisation la plus détraquée qui existe, le procédé étant complètement avili. Lloyd Kaufman écrivait "Je suis l'herpès de l'industrie du cinéma... je ne vais pas m'en aller", ce qui s'applique aussi à ce qu'il fait au septième art : il le pervertit, et salit avec plaisir tout ce à quoi il touche.
Quand on croit que ce Citizen Toxie ne peut aller plus loin, il le fait, et pour une fois le grand nombre de scénaristes, quatre dans le cas présent, n'est pas un mal, car c'est certainement à cette polycéphalie que l'on doit une telle profusion d'idées déjantées.
Citons seulement parmi le grand fouillis de personnages hauts en couleurs les mafieux en couches-culottes, les bébés mutants, le scientifique qui se prostitue, et bien sûr les lesbiennes et autres seconds rôles en petites tenues toujours en plus grand nombre.
Des personnages déjà existants de l'univers de Troma font aussi une apparition, comme Sergent Kabukiman, auquel Lloyd Kaufman est peut être attaché puisqu'il est le personnage principal d'un de ses films, mais qui est bien moins attachant que le Toxic Avenger, et qui heureusement est ici montré comme un loser, ce qui évite qu'il fasse de l'ombre au véritable héros. D'autres personnages sont créés spécialement pour l'occasion, tels que Dolphin man ou The vibrator, et ce juste pour apporter quelques gags supplémentaires ; cela fait partie des éléments de surenchère, ces détails qui demandent toutefois de dépenser de l'argent pour les mettre en place, et qui sont d'autant plus honorables pour Troma en ayant connaissance de leur budget. Cela renforce leur image de société indépendante qui fait tout pour mettre en oeuvre ce qu'ils souhaitent, pour apporter un petit plaisir supplémentaire au public, et ce peu importe leurs moyens.
Attirés par la renommée de la société, du moins c'est le cas de Corey Feldman qui s'est proposé pour un rôle, des acteurs plus connus viennent apporter leur pierre à l'édifice. Entre célébrités internationales et grands noms de séries Z, le spectateur peut s'amuser à remarquer entre autres Eli Roth et Lemmy qui sont déjà des habitués, la star du porno Ron Jeremy, Debbie Rochon, Julie Strain et James Gunn toujours fidèles, et plus étonnament Stan Lee ; tous sont aussi un ravissement de plus, pour le spectateur qui les reconnaît.
Il y a également ces acteurs inconnus en dehors du cercle des oeuvres de Troma, qui ont interprété des personnages secondaires et qui reviennent, que ce soit Lauren Heather McMahon issue de Class of Nuke'em high ou Joe Fleishaker qui est de plus en plus apparent dans les films de Lloyd Kaufman, ils favorisent l'idée que Troma est une grande famille dont on aime revoir des membres de temps en temps.
Comme le montre le fascinant documentaire de près de deux heures Apocalypse soon sur le tournage de Citizen Toxie, qui par ailleurs ne cache rien des déboires sur le plateau, Troma est aussi un géant du cinéma indépendant qui pousse les fans à un élan de participation, et ainsi comment ne pas être touché par ce vieil homme qui spontanément décide d'interpréter le fou qui court nu au début d'une scène à l'hôpital, ou par cet autre individu qui a tout fait pour avoir le rôle du "reporter #3" ?
Il y a enfin ces inconnus complets mais marquants, qui se prêtent au jeu pour incarner un personnage dégénéré rien qu'un instant, ces acteurs survoltés qui cabotinent à l'extrême tout comme le font Heidi Sjursen qui joue la blonde complètement à côté de la plaque caricaturale ou Corey Feldman déchaîné, avec en sus sa moustache on ne peut plus factice en travers de son visage. Ayons ainsi une pensée pour cet afro-américain qui n'apparaît qu'une seconde, au milieu de la foule, hilare alors qu'en face de lui est censé se trouver le chef de la police se faisant arracher les bras, sorte de soldat inconnu du cinéma bis.
Citizen Toxie est sans nulle doute l'apogée de la série d'aventures du Toxic Avenger, mais aussi des réalisations de Lloyd Kaufman qui porte l'esprit Troma à des sommets. Le film est d'un irrespect affolant, d'une audace inimaginable et donc totalement jouissive. Plein de surprises, jamais à bout de souffle, The Toxic Avenger IV dépasse largement les limites mais parvient encore à ne pas aller trop loin dans son exploration du mauvais goût ; en tout cas il trouve le bon dosage pour continuer à plaire.