Waste Side Story
Audacieuse posture que celle de Pixar à l’égard de Toy Story, 1er long métrage d’animation de la maison devenu mascotte à maturation lente, puisque 20 séparent les numéros 2 et 4 de la saga. Alors...
le 1 juil. 2019
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« C’est l’ami le plus fidèle de tous. Tu verras, il sera toujours à tes côtés. Quoi qu’il arrive ». C’est ce que dit Andy à Bonnie la fin de Toy Story 3, avant de se résoudre à lui léguer son cher Woody, à l’issue d’une des scènes les plus poignantes que j’aie jamais pu voir dans un film d’animation. Et de cela, après le visionnage de Toy Story 4, il ne reste rien. Pas plus, d’ailleurs, qu’il ne reste grand-chose de la série dans son ensemble à l’issue de cette (ultime ?) aventure des plus célèbres jouets de l’histoire du cinéma. Comme beaucoup, j’avais accueilli plutôt froidement l’annonce d’un Toy Story 4, tant son prédécesseur avait conclu avec émotion et justesse une série qui, en une quinzaine d’années, avait parfaitement su s’adresser aux petits comme aux grands, et plus particulièrement à tous ceux qui ont eu la chance de grandir avec elle. Une superbe réflexion sur le rapport enfant/jouet brillamment abordé du point de vue de ces derniers, qui véhiculait des valeurs saines comme la volonté de ne jamais abandonner ou l’acceptation de soi. Mais l’inévitable appel du marketing a été le plus fort. Je me suis donc naïvement résolu à croire au miracle en me disant qu’au pire, je me retrouverais devant un film inutile, sans nulle autre prétention que de divertir le spectateur juste désireux de retrouver l’univers qu’il affectionne temps. Mais j’étais malheureusement bien loin du compte. Car Toy Story 4 abandonne purement et simplement tout ce que les trois premiers films ont construit jusqu’ici. Et après Toy Story 3, regarder Josh Cooley massacrer de la sorte une licence qui m’avait tant touché est tout de même un peu déprimant.
Bon, expédions tout de suite les rares bons points de ce nouvel épisode. Comme on pouvait s’y attendre, on est en présence d’une petite merveille graphique, parfaite pour immerger le spectateur dans son univers. Les environnements toujours plus riches et nombreux sont magnifiques, tandis que la variété des types de jouets donne toujours lieu à des démonstrations visuelles impressionnantes. A ce titre, le contraste entre les mignonnes apparitions de Giggle McDimples et celles, bien plus flippantes des majordomes de Gabby Gabby, est assez symbolique de l’évident travail graphique qu’on ne peut que saluer. Tellement d’ailleurs qu’il suffira sans doute à convaincre certains que Toy Story 4 est un grand film. Un trop grand pas que je me garderai de franchir ici.
D’autre part, il conviendra également de mentionner Woody, seul personnage à peu près réussi du film, et à avoir bénéficié d’un traitement scénaristique à peu près cohérent. Progressivement délaissé par Bonnie au profit de Jessie, notre cow-boy préféré va donc chercher par tous les moyens à retrouver un semblant d’utilité, même en restant dans l’ombre. Un intelligent point de départ pour mettre en avant son côté paternel assez bien traité, dans le plus pur esprit Toy Story. Père, Woody l’est devenu dans presque tous les aspects de sa vie. Il veille ainsi sur tous ses collègues jouets même si ces derniers, pour la plupart devenus plus importants, l’écoutent de moins en moins. Il éduque et protège le nouveau venu, Fourchette, pourtant nouveau chouchou de Bonnie et l’ayant presque totalement éclipsé. Mais plus important, il est le second père de Bonnie qu’il accompagne pour sa première journée d’école, et pour qui il est prêt à tout pour qu’elle garde le sourire. Il donne sans retour à tout le monde parce que c’est ce qu’il a toujours fait, et que c’est ce qui lui permet de se sentir vivant. Une dévotion parentale constamment remise en cause par un entourage qui se demande si c’est vraiment son rôle. Et cet intéressant questionnement existentiel au sujet de notre héros du Far West est à l’origine des meilleurs moments de ce Toy Story 4. Une réflexion qui aurait presque pu tout changer si le film du réalisateur de Là-Haut et Vice-et-Versa n’allait pas, pour presque tout le reste, totalement à contre-courant de ce que la licence avait jusqu’ici construit.
A commencer par la majeure partie de ses personnages principaux, bien moins inspirés que notre cher Woody. Au mieux, certains sont ignorés, à tel point que quelques-uns sont tout simplement privés de la moindre réplique. Au pire, ils ont été métamorphosés afin d’être utilisés dans des contre-emplois faisant fi de toute cohérence. A ce titre, la Bergère, à mille lieues de la douce et bienveillante jeune demoiselle dépeinte dans les deux premiers volets, revendique désormais son statut de femme forte, déterminée et pragmatique, qui porte des pantalons. Une caricature féministe bien peu subtile dont l’omniprésence finit par biaiser le propos du film. Car à constamment paterner un Woody souvent relégué à un rang de suiveur malhabile, notre chère Bo Beep a souvent tendance à écraser la pourtant pertinente réflexion autour du papa cow-boy voulu par le scénario. Moins exagérée, la jeune femme aurait toutefois pu tenir la route si la maladroite introduction se déroulant neuf ans auparavant ne nous la présentait pas déjà avec un caractère similaire, alors même qu’elle n’a rien vécu de spécial pouvant justifier ce soudain endurcissement. Même l’histoire d’amour de nos deux héros se retrouve victime de cette surenchère d’émancipation, progressivement décrédibilisée par leur absence désormais presque totale de points communs. Tant et si bien qu’elle ira jusqu’à abandonner ce Woody qu’elle prétend aimer, alors même qu’elle vient tout juste de le voir se faire quasiment éventrer par les majordomes de Gabby Gabby. Elle le connait suffisamment pour savoir qu’il va y retourner au péril de sa vie ; une vie qui ne vaut sans doute pas grand-chose pour une bergère au regard de ses moutons. Mais tout va bien, vu qu’elle reste plus importante aux yeux du cow-boy que tout ce pourquoi il s’est toujours battu. La demoiselle ira donc jusqu’au bout de son monumental naufrage scénaristique en allant jusqu’à gâcher Woody lui-même, le convaincant au-delà de toute cohérence de rester avec elle, alors qu’elle est aujourd’hui la seule personne à ne pas savoir l’aimer pour ce qu’il est.
Les fans de la première heure pourront également rester circonspects devant le bien triste traitement réservé à Buzz, relégué ici au rang de faire-valoir décérébré. Premier souci : avoir cassé le pourtant très efficace duo Woody/Buzz pour cantonner ce dernier à un florilège d’inutiles situations annexes toutes plus ennuyeuses les unes que les autres. Deuxième problème : compromettre le plus classe des rangers de l’espace dans cet inapproprié rôle d’idiot comique bas du front. Une piste humoristique aux intentions encore une fois défendables, mais qui outre l’évident échec à occasionner le moindre sourire poli, s’oppose totalement à la nature du Buzz que l’on connait depuis toujours. Et l’affubler de deux insupportables peluches en guise de sidekicks moins rigolos qu’une vanne du film Gang de Requins ne fait qu’empirer les choses. Des maladresses qui le pousseront, lui-aussi, à se perdre lui-même. D’abord en laissant sa bêtise le faire imiter Bo abandonnant Woody à un imminent et probable destin funeste. Ensuite en étant celui qui poussera ce même meilleur ami à quitter Bonnie pour rester avec cette même Bo, jetant du même coup à la poubelle leur raison de vivre, et ce qui a fait d’eux des amis. Alors il paraît que c’est un signe de maturité. Que notre cher Woody a suffisamment grandi pour enfin vouloir s’affranchir de sa condition de jouet. Une théorie intéressante, qui entre toutefois en complète contradiction avec le sens des responsabilités inhérent à son côté paternel développé dans ce récit. Quand on se sent l’âme d’un père, il semble peu probable qu’on ait envie d’abandonner ses « enfants » pour un caprice personnel avec un amour qu’on ne connait plus vraiment. Et le discours est, de toute façon, trop esquissé pour ne pas basculer dans un regrettable hors-sujet, incompatible avec l’essence même de la série.
Mais le cas le plus étrange reste celui de la supposée antagoniste : la poupée Gabby Gabby. Paraissant de prime abord n’être qu’un clone peu inspiré du Lotso de Toy Story 3, son mal-être inspirant un temps la compassion aurait pu insuffler au film ce souffle émotionnel qui lui fait, par ailleurs, tant défaut. Mais le discours derrière le parcours du personnage se révèle bien trop ambigu et nauséabond pour être acceptable. Résumons la situation. Gabby Gabby souhaite plus que tout être aimée par une enfant. Mais elle estime que son moteur de voix cassé y fait obstacle. Après avoir manqué de faire déchiqueter Woody pour lui voler le sien, elle parvient à le contraindre de le lui donner grâce à une prise d’otage (Fourchette, atteint d’un sévère syndrome de Stockholm). De nouveau rejetée après la réussite de la transplantation, elle finit tout de même par être récompensée de toutes ses mauvaises actions en consolant une petite fille perdue à l’aide de sa nouvelle voix, aidée en cela par toutes ses victimes à qui elle a su inspirer suffisamment de pitié. Eprouve-t-elle le moindre regret pour ce qu’elle a fait ? Propose-t-elle à Woody de lui rendre son moteur de voix après son premier échec ? Fait-elle une quelconque bonne action qui ne serve pas un minimum ses propres intérêts? Bien sûr que non. De cette poupée qui ne méritait sans doute pas tant que ça d’être aimée, ne restent à l’arrivée que deux messages bien troublants. D’un côté, on nous dit donc grossièrement que peu importe la mauvaise nature de nos actes, inspirer la compassion peut nous permettre d’arriver à nos fins. Et de l’autre, on nous dit que la beauté extérieure ne fait pas tout pour être aimé, mais que tout de même, parfois, ça aide. Deux morales bien douteuses aux antipodes des valeurs défendues par la série, et qui me paraissent un peu limites dans une fiction aussi et surtout censée s’adresser à des enfants. Je n’ose même pas imaginer ce qu’il serait advenu du regretté Siffli si Toy Story 2 avait adopté la même optique.
Ce quatrième épisode aurait au moins pu avoir la décence de divertir, mais il a peiné à me convaincre même dans cet exercice. Difficile en l’occurrence de se satisfaire de ce rythme en dents de scie, plombé par nombres de scènes d’actions qui confinent souvent au remplissage, à l’image des inintéressantes péripéties de Buzz, ou de la bien trop longue séquence du GPS. Le spectaculaire de certains passages occasionne tout de même quelques moments funs, mais le régulier dédain dont font preuve les jouets pour rester discrets achève de limiter l’immersion. On aurait aimé se consoler avec quelques bonnes tranches de rigolade, mais l’humour lourd au ras des pâquerettes vient lui-aussi gâcher la fête. Principalement basées sur le comique de répétition, admettons que certaines situations font mouche au moins dans leurs débuts. Mais tout l’art de la discipline consiste à savoir quand s’arrêter pour ne pas fatiguer le spectateur, un élément qui a, semble-t-il, totalement échappé à Stephany Folsom, la scénariste. Qu’il s’agisse de la trop longue obsession de Fourchette pour les poubelles, des multiples bêtises initiées par la « voix intérieure » de Buzz, ou même des incessantes allusions de Duke Caboom à son propriétaire Jean-Jean, on ne nous épargne jamais la blague de trop qui sépare l’hilarité de la saturation. Je pourrais aussi m’étendre sur les grosses ficelles narratives, comme celles qui ont remis Woody et Fourchette sur la piste de Bo « par un heureux hasard ». Mais à ce stade, il ne servirait plus à grand-chose de tirer encore sur une ambulance déjà bonne pour la casse.
Désolé Andy, mais Disney et Pixar t’ont donné tort. Woody n’aura finalement pas été l’ami le plus fidèle de Bonnie, et l’a finalement abandonnée en se reniant lui-même, tout comme ce Toy Story 4 crache au visage de la licence Toy Story. Passe encore que l’humour soit souvent lourd et peu inspiré, que les scènes d’action sacrifient souvent leur pertinence au profit de la grandiloquence, ou que les grosses ficelles narratives aient banni le mot subtilité de leur vocabulaire. Mais voir le film de Josh Cooley passer le plus clair de son temps à vomir ses tripes sur tout ce que la série avait su construire en quinze ans jusqu’à la sortie de Toy Story 3, a de quoi mettre en colère. D’une conclusion parfaite où nos jouets préférés avaient frôlé la mort avant d’être promis à un avenir radieux qu’on avait l’intelligence de nous laisser imaginer, le marketing leur a réservé un sort bien pire. Ils ont tué toute la cohérence de leurs âmes aussi sûrement que les nouveaux venus ont noyé la pertinence du récit, à l’aide de leur discours douteux. Sorti de son intouchable réussite visuelle, Toy Story 4 est dépourvu de toutes les qualités qui caractérisaient jusqu’ici la licence, à tel point que je n’avais souvent plus l’impression d’en visionner un épisode. Et contrairement à tous les autres, il n’a jamais su me proposer le moindre grand moment d’émotion, ces fameuses scènes qui nous marquent à vie, par lesquelles ses prédécesseurs avaient à chaque fois su nous toucher, parfois jusqu’aux larmes. D’émotions, il ne me reste que la tristesse d’avoir vu une série aussi magique que Toy Story se faire trainer dans la boue d’une manière aussi violente. Mais il me reste aussi celle, plus grave, de voir que les enfants d’aujourd’hui devront grandir avec un épisode qui aurait pu, et aurait dû, s’arracher pour leur proposer un véritable hommage au cinéma d’animation, au lieu de cette inepte parodie qu’il me faut, à présent m’efforcer d’oublier.
Créée
le 9 sept. 2019
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