Triangle part d'une bonne idée et l'exploite avec talent, en développant une thématique accrocheuse sur laquelle je m'efforcerai de ne pas spoiler. Affublé d'un bon paquet de défauts, il n'en reste pas moins une expérience surprenante, qui tient bien en haleine et m'a fait passer un bon moment.
Le scénario est intelligent mais le film prend son spectacteur pour un con, en lui montrant bien tout ce qu'il doit voir et en se braquant laborieusement sur chaque détail avec un insistance presque insultante. On a même droit à l'effet "Teletubbies", quand la même scène nous est montrée deux fois, avec quelques variations de mise en scène (et je sais que c'est justifié scénaristiquement, mais il y avait pas mal de moyens d'éviter la redondance)
La réalisation est plutôt élégante, avec de jolis effets, en phase avec le sujet et une symbolique parfois un peu lourde mais toujours à propos. Là où ça coince un peu, c'est que la direction photo est à la rue : Les extérieurs font mal aux yeux, avec de vilaines incrustations et des scènes maritimes qui évoquent plus une pub pour le "Club Med" qu'une vraie balade en mer. On échappe pas non plus aux intérieurs éclairés au projo de boite de nuit, avec des personnages qui deviennent verts ou rouges selon la pièce dans laquelle ils se cachent.
Je ne sais pas exactement ce qui m'a le plus gêné, entre la piètre qualité d'écriture des personnages et leur interprétation peu inspirée. Quoi qu'il en soit, passé le rôle principal relativement bien campé, toute la galerie de seconds rôles est sérieusement boiteuse, alors que le film s'était amplement donné le temps de les introduire, durant son premier chapitre. Certains sont complètement transparents, ou légèrement agaçants, et on ne ressent aucune espèce d'empathie quand ils sont en difficulté. Dommage pour la tension dramatique qui en prend un coup dans l'aile.
A mi-chemin entre le slasher, le survival et le film fantastique, l'ensemble est assez prenant, même s'il souffre de quelques longueurs, avec un début sitcom un peu poussif, une fin trop largement explicitée et quelques petites errances entre les deux. A côté de ça, certaines scènes mettent une pression incroyable, on a droit parfois à des images frappantes ou d'excellentes idées de réalisation qui redorent le blason de cette modeste production, en l'empêchant définitivement de tomber dans la médiocrité téléfilmesque qui la menaçait.
[SPOILER MAJEUR]
Comme je l'évoquais, le scénario est bien ficelé, si on accepte de tenir compte d'un paramètre important : Le système temporel est bugué. Il ne s'agit pas d'un système à paradoxes où on peut tout changer, il ne s'agit pas non plus d'un système 'fleuve' où quoi qu'on fasse, on retombe toujours dans la boucle, il s'agit d'un système hybride artificiellement maintenu par une sorte de malédiction et passablement disfonctionnel, comme l'indiquent les métaphores mythologiques, le disque rayé ou quelques effets de mise en scène (rembobinages, cuts divers)
A tout moment sur le bateau, plusieurs versions de l'héroïne cohabitent (souvent au moins trois) et s'entretuent allègrement, mais pas toujours de la même façon. Certaines se croisent sans se reconnaitrent, d'autres le font à visage découvert, et toutes les variations que cela impliquent altèrent le comportement des doubles suivants qui ne font pas la même chose.
Le bateau lui-même est bugué. A l'arrivée des personnages, les denrée du buffet des années 30 sont encore fraîches et appétissantes. Dix minutes plus tard, on aperçoit le buffet complètement moisi et décomposé. Les objets ou les corps disparaissent ou s'entassent à l'envie, selon le moment, ce qui donne lieu à des scènes extrèmement saisissantes comme la scène du charnier (quand l'une des victimes va agoniser au milieu des innombrables cadavres de ses doubles précédemment assassinés).
J'ai détesté cette histoire de taxi, à la fin, et le dédoublement de l'héroïne qui regarde son cadavre depuis la scène de l'accident de voiture. Je rêve d'une Director Cut amputée d'une minute environ où la scène du crash serait directement suivie de l'arrivée de la fille au port, et qui suggèrerait qu'elle a survécu au crash (contrairement à son gamin), qu'elle est encore complètement dans le brouillard, et qu'elle embarque sans vraiment se souvenir de ce qui lui est arrivé.
Ce chauffeur de taxi fait apparaitre une dimension mystique bizarre qui casse la boucle temporelle et flanque un vilain coup à la cohérence de l'ensemble, que je m'apprétais à saluer. Ca s'est joué à peu de choses : moins d'une minute.
[/SPOILER]