Quand j'ai rédigé ma critique du roman de Remarque en juin dernier, "les camarades", j'avais écrit que je faisais la critique du film de Borzage dans la foulée...
Mais il me faut avouer que ce très beau roman est rempli d'émotion, diluée sur 750 pages. Le film contient la même émotion cette fois-ci concentrée sur 95 minutes. C'est grand mais épouvantable. J'en ressors toujours bouleversé du film, ce qui explique que je tarde un peu à faire cette critique.
Il a fallu que je fasse récemment la critique des "révoltés du Bounty - 1935 où je disais que je ne connaissais pas bien Franchot Tone. Et un de mes éclaireurs sur SC m'a rappelé au bon souvenir du film "trois camarades" de Borzage où je n'avais pas établi de lien entre cet acteur et un des "camarades" ! Il était devenu urgent de revoir le film afin d'en rédiger un commentaire.
Bon, reprenons le cours normal de la critique. L'adaptation du roman au cinéma s'est faite au travers d'un scénario réécrit par Scott Fitzgerald (l'auteur de Gatsby le Magnifique). Le roman est censé se passer dans les années 1927-1928 et Scott Fitzferald l'avait resitué en 1938 à une période où Hitler était au pouvoir depuis pas mal d'années. Le producteur, Mankiewicz s'y est opposé pour des raisons politiques. Du coup, le scénario a été revu et l'action dans le film se passe en 1921 juste au sortir de la guerre et gomme l'accession au pouvoir d'Hitler. Notons que le roman se situant aussi avant cette période, le film reste à peu près cohérent. On n'y voit encore que des bandes nationalistes désorganisées qui laissent deviner vers quoi l'Allemagne s'achemine lentement mais sûrement.
Le film se concentre essentiellement sur l'amitié des trois camarades de guerre, Erich, Otto et Gottfried sortis vivants et entiers de la boucherie de 14-18 et l'amour entre Erich et Pat. Toutes les aventures liées au fonctionnement du garage et surtout à l'actualité et au contexte économico-politique du moment (la dépression suite à la fin de la guerre) sont non pas passées sous silence mais fortement simplifiées. Restent l'amitié et l'amour admirablement respectés.
Quand Remarque écrivit le roman de 1934 à 1937, il avait déjà quitté l'Allemagne alors que ses livres étaient brûlés en place publique. Le roman porte en lui un espoir fou mais désespéré. Et le film transmet parfaitement lui aussi cet espoir.
Erich est interprété par un tout jeune Robert Taylor ; le personnage Erich est le plus jeune des camarades et tombe éperdument amoureux de cette Pat qui vient se greffer sur ce groupe d'amis. Les scènes d'approche d'Erich vers Pat, elle-même irrésistiblement attirée, sont somptueuses dans leur simplicité et leur candeur. Elle le fait marcher gentiment et il court ... Robert Taylor, qui a déjà son port un peu altier, est excellent car il correspond bien au personnage du roman. A la fois rigide et timide mais profondément et silencieusement amoureux.
Avant de parler de Pat, il faut absolument évoquer le personnage d'Otto qui est interprété par le "fameux" Franchot Tone. Là, le personnage est la tête pensante des trois camarades, celui qui a du sang-froid, celui qui arrange toujours tout. On pourrait dire qu'il est secrètement amoureux de Pat. Non, juste, il l'adore. Lui aussi, il porte l'espoir le plus haut possible.
Au début, Pat plaisante et dit "nous sommes les enfants de la guerre, nous ne sommes ni morts ni vivants" à quoi Otto répond sérieusement :
Ne dites jamais ça ! Erich et vous, êtes bien vivants, souvenez-vous-en !
Pour lui, le couple Erich-Pat, qui est l'espoir, doit vivre coûte que coûte. Il sacrifiera son véhicule, surnommé Baby dans le film (Karl dans le roman) pour pouvoir payer l'opération qui pourrait sauver Pat.
"tu as vendu Baby pour m'acheter un billet de loterie" devinera Pat dans son lit d'hôpital alors qu'Otto se coupe maladroitement dans ses explications.
Pat, c'est une remarquable Margaret Sullavan. Son personnage est celle d'une bourgeoise mais dont les parents sont morts et qui se trouve dans une position difficile. Elle est resplendissante dans le film. Son jeu est très simple, très tendre. Sa voix douce et légèrement enrouée est adorable. J'appréhende toujours quand je regarde ce film l'instant où elle tousse la première fois lors du voyage de noces avec Erich, instant qui devient le point de bascule du film. Elle s'accroche à ses nouveaux amis comme à Erich comme une bouée qui pourrait la sauver. A jamais, le personnage de Pat est Margaret Sullavan.
Elle retrouvera un autre très beau personnage dans "the mortal storm" du même Borzage.
Le troisième camarade, Gottfried, c'est le pacifiste convaincu qui va faire le coup de poing contre les bandes nationalistes, prémonitoires de l'avenir de l'Allemagne. C'est Robert Young qui s'y colle.
La mise en scène de Borzage fait preuve d'une certaine originalité et efficacité dans beaucoup de simplicité. Je pense à la scène du mariage dans le bistrot ou encore dans le symbolisme qui accompagne une communication téléphonique.
"Trois camarades" est un excellent film qui ne traite que la partie essentielle, le cœur, du roman mais où je retrouve parfaitement la très grande beauté des personnages du roman.