Bleu est un film marquant. Dans le sens où il laisse bien des images en tête, des images qui ne veulent pas s'effacer. Les voitures qui rugissent comme des bêtes, le papier bleu, le robinet qui fuit un peu, l'arbre, Antoine, le mec dont Julie ne veut pas, mais surtout l'oeil. La vitre, les pilules, le sucre, le café (avec deux boules de glace dedans, bien sûr), mais par dessus tout la flûte. L'immeuble, le lustre bleu, la pétition, la prostituée, la piscine, le marché, le mur (ça fait mal), mais plus que tout la flûte. Et cette musique. Cette foutue musique du compositeur décédé, qui reste en tête indéfiniment.
Bleu est un film froid. Froid parce que Julie ne veut plus rien, depuis ce qui lui est arrivé. Elle dit non à tout, elle rejette tout. On a envie de s'attacher en elle, presque de se mettre à sa place, mais elle ne veut rien. Son geste de la fin peut donc paraître surprenant...
Cependant, elle est libre maintenant, libre de mettre deux boules de glace dans son café, libre de se détacher des sentiments, de tout ce qui est important. Libre de se concentrer sur le sucre qui font dans le café, et rien d'autre.
Bleu est un beau film, parce qu'il décrit avec un humanisme et une empathie profonde le quotidien de cette femme plutôt brisée, qui se demande comment elle pourra poursuivre sa vie après ça.
Bleu est un beau film, mais beau dans le sens plastique cette fois, parce qu'il comporte ces petits plans singuliers qui, accumulés, forment un panel incroyable d'inventivité visuelle. Le plan de l'oeil, des voitures, du robinet qui fuit un peu, du sucre, et plein d'autres.
Enfin, Bleu est un film à revoir, enfin je le pense, car il est vrai que sur le coup ce n'est pas l'oeuvre la plus plaisante à voir qui soit. Un peu rebutant par le vide laissé par la mort du mari, qu'on ressent presque comme un vide dans le film, un vide dans le personnage. Volontaire ou non, c'est ce qui rend le film génial tout en le rendant hermétique par moments. Hermétique pas dans le sens où on se sent exclu du film, on arrive parfaitement et immédiatement à pénétrer dans le film. Mais il manque le petit détail de plus qui aurait fait que le film pénètre dans quelque chose de plus gros. Et là, ç'aurait été le chef d'oeuvre.
Quoiqu'il en soit, Bleu ouvre très bien le bal des Trois couleurs de Kieslowski. C'est un film qui paraît bien meilleur quand on y repense après coup qu'au moment où on le voit, et c'est pas plus mal.