Derrière ce titre mi-suggestif mi-glauque se cache un film soviétique d'une étonnante liberté de ton. On est dans les années 20 et Abram Room aborde de manière parfaitement explicite une série de thèmes d'une modernité incroyable : dans cet appartement moscovite (aux apparences légèrement bourgeoises quand même) où se retrouveront deux ouvriers et la femme de l'un d'eux, il sera question de triolisme et de libertinage à peine voilés, d'homosexualité, de féminisme et même d'avortement.
Cette scène comique dans laquelle les deux hommes Vladimir et Nikolaï s'embrassent, l'un faisant une blague et l'autre pensant embrasser la femme, est vraiment mémorable. De l'autre côté du spectre émotionnel, il y a ce moment où les deux hommes décident de concert que la femme enceinte doit avorter, sans avoir cherché à en discuter au préalable avec la principale concernée. Lorsque Lioudmila se retrouvera dans la salle d'attente d'une clinique, toute seule, au moment de faire un choix, c'est la place de la femme au sein de la société soviétique qui se trouve questionnée. Elle choisira la voie de l'émancipation en mettant les voiles.
On se croirait à certains moments dans l'équivalent russe du Forbidden Hollywood, ces films de l'ère Pré-Code qui manifestaient une incroyable liberté de forme et de ton avant la mise en place de la censure Hays. Avec en prime quelques aperçus poétiques de la vie à Moscou au début du 20ème siècle, dans la rue et sur les chantiers de construction, comme une vague évocation du cinéma à venir de Dziga Vertov ("L'Homme à la caméra" sort deux ans plus tard) — ou Walter Ruttmann la même année, du côté allemand, avec "Berlin, symphonie d'une grande ville".
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