Attention au lecteur averti, je vous conseille de lire cette critique après avoir découvert le long-métrage ! Bonne lecture !



Des histoires aux récits burlesques, dans les plus hautes sphères du monde au plus petits être sur terre, des Moulins qui prétendent être des géants aux chats plus malins que les humains, nous racontons, nous montrons, nous illustrons, nous chantons et nous retranscrivons toujours des contes. Par ses premières définitions, les contes ont d’abord été oral et ensuite nous ont été retranscrit sur papier pour que les histoires perdurent dans le temps. A la fois un récit qui distrait et une histoire avec une morale qui s’applique dans la société, la croyance est un facteur essentiel pour permettre à ce que l'invraisemblable devient la logique du monde, et ce que la raison déduit de ces figures qui sont en lien avec la réalité. Les contes sont les clés de compréhension de notre réalité et de notre rapport avec la société et les principes de vie et de relation avec les autres. Le conte oral est un aspect essentiel à définir pour aborder au plus près ce que George Miller a su comprendre de ce genre littéraire qui ne peut être retrouvé à l’origine. Indéfiniment perdu dans son principe, il n’est désormais défini seulement par le geste d’être transmis aux autres, devenant ce que le temps fait de longues dates, redéfinir le tout pour qu’il se transforme sous une forme nouvelle, tout comme les langues et pays qui l’entourent et le font vivre. L’être humain a d’abord appris à parler avant d’apprendre à écrire, et le Conte Oral est le langage universel par excellence où celui qui dit et ceux qui écoutent finissent par partager les histoires que l’on se raconte ensemble. George Miller nous offre sa plus belle représentation, où les témoins des légendes finissent par se confronter à ceux qui ne se souviennent plus des affres du temps. Trois Mille ans à t’attendre est ce que j’appelle, le Cinéma dit de conte par le fait que nous spectateurs deviennent aussi la protagoniste, où tout comme nous, elle est spectatrice d’un récit qui se défile, qui se touche et qui se ressent. Ce geste de transmettre un récit est parfaitement intégré dans la mise en scène qui nous interroge sur le fait de croire ou non ces fantaisies dans notre monde moderne doué d’une raison et d’une connaissance qui limite notre imaginaire. De même, le Djinn nous avertit de ces connaissances où il nous révèle que les grandes Histoires sont faites de petites histoires, et que les détails des légendes peuvent être tout autre.



Pour se plonger plus profondément dans les détails du récit et pour mieux comprendre la raison de l’association entre le terme “cinéma” et celui de “conte”, nous devons constater de l’esthétique du long-métrage où les sensations et la transcendance sont de mises pour comprendre l’alliage entre le spectaculaire et le sentimentale, et le grandiose et le grandiloquent. Cet aspect s’articule parfaitement autour des trois épopées que nous racontent le Djinn. La première est celle de la rencontre entre la reine Sheba qui est l’origine des rêves et des fantasmes du conteur nous donnant à son tour l’envie de songes, et le roi Salomon qui nous paraît ridiculiser malgré la protubérance de magnificence, par les remarques d’un être qui nous dépasse. Cependant comme nous le comprenons par les échanges entre Alithéa qui a lu et le Djinn qui a vécu ce récit, l’apparence peut être trompeuse. La mise en scène est simple tout en renforçant l’atmosphère instaurée, où nous avons le champ qui nous dévoile des légendes avant même que la légende n’apparaisse, des créatures et des mythes qui se côtoient, démontrant l’importance d’avoir une histoire qui précède celle que nous suivons. Ensuite, le champ nous dévoile de manière assez éloignée et isolée, le Roi Salomon avec son instrument à corde, et à la manière de l’aveugle Hoïchi dans Kwaïdan de Kobayashi, il nous fait apparaître par la musique le rêve et le fantastique qui détournent la réalité. Le Roi Salomon nous dévoile dans un premier abord les notes simples, mais la mise en scène nous fait insister sur les cordes où nous comprenons qu’il y a des notes qui se jouent au-dessus de celles-ci, et la caméra se décale légèrement pour dévoiler une autre paire de main qui se met à accompagner. Des instruments de percussions apparaissent, et la caméra nous les dévoile. Nous entendons d’abord ce que nous voyons par la suite. Ainsi, le simple humain que le Djinn voyait de haut, finit devenir spectaculaire, tandis que les divinités sensaient être au-dessus des principes humains, finissent par s’émouvoir, même la reine Sheba sensée être la beauté incarnée. Cette scène est un exemple de ce qu’a su apporter Guillermo Del Toro notamment, par l’alliage entre les accessoires réels où nous devons ressentir le vrai et le touché, et l’utilisation de la VFX, réalisée par Paul Butterworth et Marcia Kelly, qui vient harmoniser et affiner les détails pour rendre empathique et sensible les clés du fantastique, c’est-à-dire pour ici l’instrument dont la musique composée par Tom Holkenborg nous accumule ce merveilleux et cette admiration. Cette musique s’introduit dans le spectaculaire pour en ressortir l’intime, et la direction artistique menée par Nicholas Dare et Sophie Nash, renforce la mélancolie par les teintes blanches qui sont devenues orangées de la lumière qui accompagnent les costumes et le décor. Le film fait preuve d’un savoir-faire technique qui connaît les mécanismes émotionnels du conte : D’abord se sentir au-dessus de l’histoire qu’on nous raconte, ensuite être intrigué et pour enfin être piégé par ce récit.



Ce savoir-faire se ressent plastiquement par l’imaginaire Oriental qu’il évoque, et sous-jacent dans chacunes des séquences qui se défilent. Que ce soit cette picturalité de la robe rose au milieu des teintes vertes (La majorité des costumes de Kym Barrett est plastiquement splendide et rajoute de la forme et du volume au cadre et au plan), bleues et rouges qui réussissent à la faire ressortir, des décors de Lisa Thompson, Virginia Meseti, et Osman Çankırılı avec ces arabesques, ou les flacons au multiples formes et couleurs, George Miller parvient à inclure dans ces mouvements de caméra très légère et discrète, un geste perpétuel du mouvement transmis par les pigmentations du cadre, évoquant les orfèvreries et les toiles arabesques qui forment des lignes qui dessinent où notre regard se porte. Le film est exaltant, envoûtant, et nous transmet un charme dans ces corps notamment. Le corps de la femme enceinte est resplendissante par le biais de la lumière qui rajoute des reflets et du contraste au niveau de son ventre, ou de la plume bleue qui érotise mais hypnotise par le trait délicat qu’il donne au mouvement de l’actrice. La présence des bains est également à évoquer, pour la citation notamment pour La Bain Turc d’Ingres, ou encore celle de l’harem qui de son côté, va tendre vers La Mort de Sardanapale de Delacroix où la sombreté du cadre va faire ressortir du fond, les corps en chair et les fourrures imposantes, incluant donc les nuances des formes et des couleurs. Tous ces éléments permettent d’affirmer que l’ensemble de l’équipe technique a su nous faire ressentir cette impression réjouissante du rêve qui est physiquement ressenti, mais qui s’évapore sous la forme d’arabesque. Certes, nous pouvons nous demander à quoi sert tous les détails que nous offrent le travail sur les costumes et le décor, mais nous pouvons se dire qu’elle revient à sa racine, celle d’être du décoratif, et donc d’ornementer et de renforcer cette impression de profondeur du rêve. Ce que je souhaite dire par là, c’est que le travail de décoration qui a dû faire rêver ceux qui ont dû fabriquer, permet de tracer sans que l’on s’en rende compte la sensation de ce long-métrage. Ces petits détails affectent toute la trame de ce que nous avons sous les yeux, nous portons de l’attention à cette histoire parce que les ornementations nous indiquent d’y croire, fourmillant de détails qui offrent de la matière. La fusion entre ces motifs du Moyen-Orient, et celle de l'imaginaire de George Miller se produit dans une scène qui est en apparence basique, mais d'une grande délicatesse dans son sens. C'est la scène de rêver comme un Djinn qui est simple dans son exécution où le plan zénithal sur le personnage féminin qui cherche à se libérer de la domination masculine par le biais de l'intellect et des sensations, va révéler des formes inimaginables. Ceci est un plan peu inventif, mais il est une grande récompense par le fait que nous avons plastiquement la représentation de l'infinité des rêves et de l'imaginaire, où particulièrement ici, les motifs arabesques qui servent à agrémenter la scène, vont représenter physiquement les pensées du personnage.



Nous nous sommes uniquement concentrés dans le passé du Djinn, mais les parties dans le présent ne sont pas dénuées de sens ni d’intérêt, et cela est grâce à l’écriture du personnage Alithéa interprétée par Tilda Swinton. Ces parties ne sont certes pas visuellement novatrices, que ce soit les scènes de l’aéroport, extrêmement réaliste qui sert de contrepoint aux scènes luxuriantes des souvenirs du Djinn, ou encore le passé de Alithéa, appuyé par une colorimétrie très orangée. A partir du moment où l’aspect logique et raisonné du personnage féminin accepte le rêve et le conte issu du Djinn, le désir et l’imaginaire de Alithéa sont illustrés par le teint orangé qui illumine et englobe son passé. L’apothéose de cette créativité arrive lorsqu’elle décide de faire l’amour comme un Djinn, où nous avons un tableau qui se décompose et se recompose, où la VFX est utilisée très délicatement pour renforcer la beauté du moment. De même, le personnage n’est certes pas autant mis en avant durant la première partie du récit par l’enchaînement des flashbacks, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas développée, puisqu’on la retrouve au travers de trois figures (La Reine Sheba et son admiration pour le roi Salomon qui se retrouve chez Alithéa pour le Djinn, ou encore la Femme qui souhaite avoir une soif de connaissance, semblable à l’esprit de curiosité de la protagoniste). La dernière figure que j’ai laissé de côté, est celle du tyran qui est émerveillé par le fait qu’on lui raconte une histoire. Le rapport entre les deux est selon moi à développer, mais quelques points me permettent d’étayer cela, au travers notamment du désir de rien. Le tyran à qui on lui a appris à ne plus rêver et d’avoir un poste de responsabilité, ayant peur d’être assassiné, a juste perdu son enfance qui le retrouve au travers d’un vieil homme qui sait davantage. La plaisir de l’écriture de ce film est le fait que nous ne savons pas réellement ce qui a été raconté (ce qui était le cas lorsque le roi Salomon raconte le plus grand désir des femmes mais que nous ne savons pas), cela est à nous de raconter notre propre conte autour de ce tyran qui revient à un stade d’innocence. Cela est intéressant qu’il ressente la présence du Djinn, mais qu’il ne soit pas plus attiré qu’une simple histoire. Or pour le cas de Alithéa, on pourrait voir un rapprochement sur la question : Qu’est-ce que le personnage a désiré ? Le désir de pouvoir être avec le Djinn ? Sans doute, le personnage n’a même pas désiré jusqu’à la fin du long-métrage. Peut-être qu’elle a été émerveillée par les histoires que le Djinn lui a conté, et qu’elle souhaitait juste l’avoir auprès d’elle pour que le récit de l’imaginaire puisse continuer. Si le fait d’attendre 3000 ans peut s’appliquer pour les fans de George Miller, cela s’applique à mon humble avis aux amoureux du cinéma de Terry Gilliam qui est le cinéaste à le mieux parler du conte, de l’imaginaire. Le récit Gilliasmesque comme Time Bandit, L’Homme qui tua Don Quichotte, ou encore Les Aventures du Baron de Münchhausen met en avant des personnages rêveurs au milieu d’un monde, voulant dépasser la logique et la raison. La fin de ces histoires donne ce sentiment de “est-ce qu’on a vraiment vu ces histoires se déroulaient devant nous”, particulièrement chez le film sur Münchhausen qui, tout comme dans Trois Mille ans à t'attendre, va témoigner de la mort du fantastique et de l’imaginaire par la croissance de la modernité, que ce soit la médecine chez Gilliam, ou les ondes radios chez Miller (Nous pouvons également ajouter Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro avec la guerre). En soit le Djinn constate que nous sommes devenus des divinités, contrôlant les matières les plus infimes (Atomes avec Einstein ou les ondes qui affectent le Djinn), et la question est de savoir si nous avons encore besoin de la fantaisie et des contes, si nous pouvons croire ce que la raison nous indique comme irréel. Le film est entre le chaos et l’ordre, entre le déraisonnement de la raison et la logique des fables qui se dévoilent sous nos yeux. De même parmi les aspects similaire à cet univers Gilliamesque, nous pouvons rajouter ce rapport entre chaos et ordre, puisque les personnages n’ayant pas atteint les trois voeux, ont voulu contrôler l'incontrôlable tel l’infinité des rêves, mais leurs raisonnements et leurs visions du monde les empêchent à atteindre leur rêve. Ils auraient pu éviter leurs destins tragiques si ils avaient décidé de croire au Djinn, symbolique de l'imaginaire et de la fantaisie. Trois Mille ans à t'attendre possède une introduction maladroite tant dans ses effets spéciaux avec les créatures que nous reverrons ensuite dans le passé du Djinn, que dans son sujet (Selon moi juste introduire la fantaisie par le biais de la conférence aurait suffit au lieu des figures du passés), mais les scénaristes maîtrisent jusqu’au bout le rythme du récit, rendant ce cycle des voeux qui s’arrêtent à deux une morale intéressante sur ce que nous désirons réellement. Nous nous impatientons pour obtenir de la fantaisie et du rêve, alors qu’il suffit que nous attendions légèrement pour que nous ayons enfin accès à la caresse des mots et des images, que nous puissions atteindre enfin la fin de l’histoire.

CinéphileduCoin
9

Créée

le 21 sept. 2022

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