« Le travestissement traverse toute l’histoire du cinéma » affirme Mehdi Derfoufi dans Travestissement et transidentité dans le cinéma français (Presses universitaires de Provence). Dès son origine, le septième art se réapproprie ce thème prépondérant dans la représentation occidentale. En effet, le travestissement est au coeur des arts du spectacle, de l'héritage antique avec Euripide jusqu’au théâtre de Shakespeare. Depuis les premiers films de Georges Méliès en passant par Some like it Hot de Billy Wilder, le cinéma n’est pas en reste face à ce motif majeur qui soulève encore des questions essentielles autour de la définition de l’identité, mettant en évidence comment celle-ci se construit dans un jeu d’écho entre normes sociales, pulsions individuelles et fantasmes.
C’est donc dans une tradition aussi abondante que fascinante que s’inscrit le premier long-métrage du jeune réalisateur français Florent Goüelou. Après neuf courts-métrages parmi lesquels Beauty Boys en 2020, cet ancien étudiant de la Fémis présente en salle Trois nuits par semaine. Ce film, à la fois didactique et émouvant, revisite la question du genre avec habileté. L’auteur s'empare du problème du positionnement de la personne par rapport au genre et au sexe pour le mettre au centre d’une réflexion commune.
Au-delà d’une tentative de mise en avant de la communauté drag, Florent Goüelou cherche à rendre visibles pour tous les enjeux qui s’y rattachent : qui sont ces créatures au parfum de scandale et qui sont les humains cachés sous cette image de faste mêlé de trouble ? Autant d'interrogations qui sont arpentées au fil d’une narration virtuose, baignée de lumières irréelles, mobiles et envoûtantes. Les flots de paillettes versatiles sont à l'image des identités : multiples et réversibles, elles éclosent et disparaissent dans d’éblouissantes métamorphoses.
Dans une idylle entre des éléments a priori contraires, le spectateur mesure que le travestissement n’est pas qu’une affaire de spectacle, une folie ou une divagation. Baptiste, qui sort d’un univers de petit-bourgeois moyen, est aussi précaire que les drag-queens et les drag-kings avec qui il choisit de partir en voyage. Entre Paris et Marseille, on découvre peu à peu comment le caractère double, si manifeste dans la pratique du drag, est peut-être plus largement un motif essentiel à l’humain dont la place n’est, au fond, jamais fixe, jamais ancrée. Le réalisateur fait ressortir le brouillard primitif qui pèse sur chacun lorsqu’il s’agit de se construire une identité, de se trouver un visage, d’apprendre à vivre avec son corps.
Il est propre à l’être humain d’avoir à la fois un visage singulier et mille visages. C’est donc un voyage dans l'identité que propose le monde drag à travers le changement d’apparence. La performance croise les genres et offre la possibilité d’un déplacement de soi par le biais du costume et de la fête. Ce qui est célébré dans ces mises en scènes chatoyantes, c’est la diversité de l’âme. Ainsi, l’insaisissable Quentin, qui a choisi de vivre entièrement de sa pratique du drag, est à l’image d’une personne qui consacre sa vie à observer et exalter ce foisonnement originel contenu dans l'un.
Enfin, dans une heureuse issue qui laisse au public une douce image d’amour, Florent Goüelou marque bien sa volonté de sensibiliser le plus grand nombre en lançant un appel à la tolérance. Ce film nous renvoie de la sorte à un idéal de bienveillance et d’ouverture pour mieux vivre ensemble. L’auteur nous reporte donc à l’idée selon laquelle « le statut d’être humain implique à la fois la fraternité et l’idée (de la pluralité) du genre humain », comme l’exprimait Lévinas dans Totalité et Infini.
Site d'origine : Ciné-vrai