L’amour est un vieux serpent de mer. Le temps passe, l’identité se dilate, les souvenirs s’égarent et s’éparpillent entre la routine inhérente d’un Roubaix lassant et le romanesque idéalisé d’une vie érudite allant de rencontre en découvertes. Mais une seule chose, que Paul ne peut oublier : Esther. Il ne sait plus qui il est, mais il souvient parfaitement de sa voix, de ses courbes avantageuses, de cette passion amoureuse. D’un simple baiser, on sait délier le vrai du faux. Une rencontre, un amour malade qui laisse des traces, un assemblage de regrets qui s’enlacent dans l’amertume. Faux prequel de Comment je me suis disputé, Trois souvenirs de ma jeunesse, par sa fluidité narrative à la fois timide et romantique, magnifie de son génie l’une des plus belles histoires d'amour vue depuis longtemps, mettant en scène les fulgurants Quentin Dolmaire et Lou-Roy Lecollinet. Deux jeunes artistes à la complémentarité rarissime.
C’est beau, simple, mais loin d’un réel lambda, où la description de la vie, s’assume de sa fiction et de son héroïsme un brin narcissique, de ses parts de mystères, de cet envie de la théâtralité littéraire et poésie esthétique (lettres face caméra). Un film de super héros chevaleresque où les pouvoirs et la cape sont remplacés par la plume, le lyrisme de l’amour et les rêves d’utopie. Desplechin ne coupe pas la poire en trois parts égales, mais agence sa structure narrative pour dans un premier temps, délier la mise en perspective de l’enfance de Paul (son père violent, son voyage à Minsk presque politique et militant, son quotidien). Puis vient Esther, une étoile blonde qui tout le monde regarde et envie. Puis le film prend sa réelle ampleur, son propre souffle où chacun va forger sa propre personnalité (foi, métier, volonté) et sa fuite quant aux responsabilités. Desplechin détient une rythmique romanesque qui absorbe ses tics de langage où le réalisateur convie les personnages de ses précédents films faisant de Trois souvenirs de ma jeunesse, un lancinant film sur la mémoire, la fin de l’enfance (la chute du mur de Berlin).
C'est un film qui ressasse le souvenir, de sa propre fascination pour les femmes, son inconscient et transfigure les souvenirs pour en faire un réel aléatoire, entre distance destructrice et proximité aveugle. D’une seule traite, le film multiplie les pistes, mélange les genres (film d’espionnage, romance, film initiatique au passage de l’âge adulte) mais garde une homogénéité de par sa diversité de ton où la tristesse des situations se révèle par la drôlerie de certains dialogues, la qualité blufflante de l’entièreté de son casting. Tout en se délectant du doux érotisme de certaines délicieuses séquences qui accouchent de la mélancolie du temps qui passe et compose le récit d'une initiation. De cette chronique sentimentale, l’initiation à sa propre image, qui fluctue par les pensées, de Desplechin à Paul, de Paul à Amalric, d’Amalric à Desplechin. D’où le fondement du film, et de sa vision de l'artiste maudit, créateur de double identitaire. Cette ambivalence faisant la justesse d’un œuvre écrite et intemporelle.