Un chant d'amour malade et cannibale
Par Jean-Sébastien Chauvin
A ceux qui ne connaissent pas encore les joies de l’hypnose, on conseille vivement d’aller se jeter en pâture au dernier film d’Apichatpong Weerasethakul, Tropical malady. Jeter en pâture, oui, car se joue ici quelque chose de l’ordre du sacrificiel, d’un renouvellement du contrat qui lie le spectateur à son film, où la salle serait l’autel, le réalisateur un grand prêtre ordonnateur, le film une entité divine ou extraterrestre dotée d’un envoûtant magnétisme. Un plaisir de l’engourdissement, de la tétanie, de l’abandon de soi risque bien de saisir tout spectateur qui sera arrivé au terme de l’oeuvre la plus étrange de l’année. Pour autant, à la différence d’expériences plastiques qui abasourdissent le spectateur de leurs maléfices, lui interdisent tout travail de réflexion (La Vie nouvelle de Philippe Grandrieux), Tropical malady perd le spectateur entre chien et loup, quelque part entre raison et déraison, réel et mythologie, dans cet indistinct entre-deux qui insinue un vertigineux doute de la vision.
L’histoire ? Difficile de résumer un film qui tient moins à son scénario qu’à sa capacité d’enchantement et de diffraction des sens, de diffusion discrète mais inexorable d’une magie vénéneuse. De jeunes militaires, des amours homosexuelles, une ville sentimentale, une bête lycanthrope, un fantôme, une jungle, autant de motifs qui s’organisent d’une manière absolument pas orthodoxe, traversée d’influences multiples (le conte, le cinéma, l’art contemporain, le jeux vidéo). Tropical malady est à sa manière un film d’aventure : une aventure intellectuelle tout autant que charnelle, conceptuelle tout en tirant les bénéfices de moteurs plus directement instinctifs que sont le suspense ou la peur. Comme son prédécesseur, le sublime Blissfully yours, Tropical malady est cassé en deux, si bien qu’un autre film semble commencer en son milieu. Un film ? Deux ? Cette question n’a strictement aucune pertinence tant le film de Weerasethakul sort des sentiers cartésiens pour explorer les contrées du délire opiacé. (...)
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