C’est l’horreur de l’emprisonnement, de la séquestration, le froid glacial de la cellule où l’on réside, spectateur impuissant, réduit à se jeter violemment contre les parois dans un acte désespéré, désir d’un jour s’en libérer. Ces prisons, tout au long du film, se matérialisent à travers nos personnages, captifs de leur propre chair. Leur existence se limite à des pulsions répétées, inscrites dans une mécanique froide. Ces corps figés, transis, sont traversés d’un frisson, écho d’une vie latente, d’une chaleur potentielle enfouie dans leur chair formidablement captée par le travail d’Agnès Godard.
L’utilisation ingénieuse de Vincent Gallo et Béatrice Dalle dans les rôles principaux renforce cette représentation. Les deux incarnent des figures à la fois terrifiantes et insondables, et chacune, dans ses propres expositions, agit de manière singulière et complémentaire. Ces portraits se mêlent au travail virtuose de Claire Denis, qui capte la douceur froide et la sensibilité de la peau avec une maîtrise profonde, formant à l'image un élément formidable, poussant les mots et les gestes des personnages vers une conclusion profondément désolante : l’incapacité d’exister librement dans la geôle qu’incarnent nos conditions respectives.
Ici, cette condition se manifeste principalement à travers les corps. Toute cette matière, présentée à l’image avec une incroyable sobriété et une sensibilité rare, met en lumière des désirs multiples : celui d’appartenir, socialement ou charnellement, des envies qui résonnent entre les murs de la prison et deviennent moteurs des actions. Ces moteurs, viscéraux et naturels, éclatent macabrement à l’écran. Un jaillissement de sang terrifiant, apportant un instant de chaleur dans ces environnements bleu-gris. Une esquisse de vie surgit. On détruit le corps, on le brise, on tue, on mord et on baise, exagération violente de la réalité sur la difficile compréhension rationnelle des désirs.
Car « le désir » s'active dans cet espace où la nature se fait maladie, où maladie et désir se confondent, où désir et pulsion se répondent, et où la pulsion, enfin, mène à une liberté qui n’est qu’éphémère dans son abjecte réalisation. Une liberté fragile, instantanée, comme un long et sinueux cri d’agonie qui ne fait que davantage exposer l’ambivalence de ces deux personnages et l’importance de la signifiance structurelle qu’ont les gestes en fonction du genre. De quoi faire mordre le trottoir à Grave ou Bones and All.