Corti caïd.Claude Corti,caïd quinquagénaire de la pègre parisienne,trafique dans tout ce qui peut rapporter du pognon:drogue,racket,prostitution,faux papiers.Il dirige ses affaires d'une main d'acier mais,le jour où il tombe et se retrouve en taule,les appétits s'aiguisent et les manoeuvres pour s'attribuer son empire commencent.Le réalisateur et scénariste Frédéric Schoendoerffer,après s'être attaché à la description du milieu policier dans "Scènes de crime" et de celui des espions dans "Agents secrets",se consacre cette fois aux moeurs du grand banditisme avec la même puissance sèche et réaliste.Le film avait fait polémique à sa sortie,ce qui se comprend car cette peinture brutale du monde des gangsters,sans faux-fuyants ni faux-semblants,a de quoi heurter la sensibilité des belles âmes enivrées par le mythe du romantisme du voyou.Pas de romantisme ici,seulement des psychopathes sanguinaires obsédés par le fric et le luxe,prêts à toutes les violences pour atteindre puis conserver un train de vie dispendieux fait de coke,de putes,de boîtes de nuit,de champagne,de whisky et de voitures de sport.Un microcosme d'affranchis,car on s'y affranchit effectivement des règles communes définies par la loi.Un environnement qui n'est que la monstrueuse excroissance de la société de consommation,le sommet du consumérisme déchaîné débarrassé du frein de la légalité.Dans un pays où la détention d'armes à feu est strictement encadrée,ces mecs se baladent en permanence enfourraillés comme des porte-avions.Eux n'ont aucune difficulté à se procurer des flingues et aucun scrupule à s'en servir,puisque ce sont leurs outils de travail.Dans cette cage aux fauves,Corti est le roi de la jungle.Normal,c'est le plus cinglé de tous.Car la folie et la paranoïa sont absolument indispensables à la survie dans ce milieu où tout le monde se méfie de tout le monde,où personne ne peut faire confiance à personne,et ce à juste titre,car les meilleures places sont très convoitées.Les nouveaux gangsters ne s'embarrassent pas de code de l'honneur ou autres fariboles.La trahison est dans leur ADN et la loyauté leur est étrangère.C'est pourquoi il faut toujours être impitoyable et faire des exemples.Ca n'empêche pas les dérapages mais ça les limite.Corti,parrain terrifiant à côté de qui Scarface ressemble à la Petite Sirène,est tellement barré qu'il en devient parfois drôle.Lorsqu'il rencontre le boxeur Julien Lorcy,qui apparait dans son propre rôle,et que celui-ci lui conte ses déboires avec son manager,il lui rétorque avec le plus grand sérieux:"faut pas te laisser faire,contacte ton avocat,il y a des lois dans ce pays!".Il faut aussi voir sa mine déconfite quand sa compagne lui propose une croisière sur le Nil,et qu'il demande s'il y a une piscine sur le bateau.Lui,ce qu'il veut,c'est du clinquant,et il préfèrerait aller à Miami.Les truands n'ont que faire non plus du politiquement correct et des bonnes manières.Leur mentalité est totalement machiste et raciste.Pour eux,les femmes se divisent en deux catégories:les putes,dont ils font commerce et qu'ils utilisent également pour leur plaisir personnel,et leurs femmes,qui sont soumises,trompées,et sévèrement châtiées si elles s'avisent de leur être infidèles.D'autre part,les gangs fonctionnent sur le mode des bandes ethniques et du repli communautaire.Le réalisateur balance tout ça sur l'écran sans prendre de gants,et les scènes de fusillades,d'exécutions,de tortures,d'agressions et de baise sauvage se succèdent à bonne allure.Le film est dynamique,bien rythmé et jamais ennuyeux.La caméra est toujours à la bonne distance,chaque séquence est utile à la progression et à la compréhension de l'histoire,y compris les moments d'accalmie portés par des dialogues qui claquent.La mise en scène,parfaitement lisible,permet d'identifier sans peine les nombreux personnages,bien dessinés,ainsi que leurs motivations.Bien que l'intrigue soit très élaborée,on sait toujours qui est qui,qui fait quoi,et pourquoi.Ce qui ressort au final,c'est que ces types ne peuvent se permettre d'éprouver le moindre sentiment.Corti va se ramollir et montrer un manque de fermeté vis-à-vis d'Hicham,dont le père était son ami,et une faiblesse paternaliste à l'égard de Franck,qu'il considère comme un fils.Ce qui lui sera fatal."Truands" développe des thématiques et une ambiance proches de celles de la formidable série "Braquo".Il n'est donc pas surprenant de retrouver ici Alain Figlarz,qui jouait dans la série,et Olivier Marchal,qui la réalisait.Tous les acteurs se montrent brillants et investis,et on a réuni pour l'occasion un incroyable casting de gueules.Corti,c'est Philippe Caubère,très rare au cinéma et qu'on n'y a jamais vu aussi bon.Benoît Magimel,dans un registre proche de celui qui était le sien dans "Les voleurs" de Téchiné,crève l'écran.Les autres sont au diapason,qu'il s'agisse de Mehdi Nebbou,Tomer Sisley,Cyril Lecomte ou Nicky Marbot.Il est à noter que le réalisateur a le sens de la famille puisque son frère Ludovic,qui est d'ailleurs dans tous ses films,tient un second rôle,et qu'on voit au détour d'un plan un extrait de "La 317e section",une oeuvre de son père Pierre Schoendoerffer.