En finissant leur film avec une interprétation du Leaning on the Everlasting Arm, les frères Coen invoquent la figure du pasteur de La Nuit du Chasseur, et son caractère fondamentalement ambiguë sur la nature du Mal. Un Mal toujours mêlé au Bien (les deux mains qui se lient pour faire de l'Amour et de la Haine deux faces de la même pièce humaine), les apparences religieuses du personnage dissimulant sa nature pernicieuse. Et on peut effectivement retrouver cette figure dans le visage de Mattie Ross (Hailee Steinfeld), jeune fille en quête de justice, mais probablement un peu plus encore en quête de vengeance, elle étant à plusieurs reprises assimilée à une figure maléfique (on a peur de négocier avec elle, et on interdit de prononcer son nom).
La voir affronter des serpents au fond du trou alors qu'elle vient d'assouvir son désir de vengeance de la manière la plus froide devient révélateur de la manière qu'ont les Coen de transformer leur auscultation de l'ordinaire en récit mythologique. Le sacrifice du bras afin de ne pas succomber au Mal peut faire penser à Týr, le physique de Rooster Cogburn (Jeff Bridges dans un de ses meilleurs rôles) fait penser à Odin, pointant alors son rôle de guide pour Mattie dans le royaume des morts (la rivière Gjöll traversée alors que le passeur refuse) pour l'amener vers la grâce en la sortant du trou, et LaBoeuf (Matt Damon) qui réussit à viser correctement à plus de 300 yards a tout du personnage réussissant à s'extraire de ses conventions en voyant au delà de sa propre perception pour se laisser toucher par la grâce en sauvant un ennemi.
Ce "true grit" exprimé par Mattie ne serait pas tant l'amoralité de Rooster, mais la grâce permettant de s'extraire de ces troubles et évoquée par le personnage principal en début de film. Tout l'enjeu du métrage serait donc de passer de cette première conception des valeurs à la seconde, et l'acceptation du sacrifice comme moyen d'y arriver alors que Mattie la considérait comme la "seule chose gratuite en ce bas monde" (le cheval Little Blackie mort d'épuisement pour la sauver, mais aussi Rooster qui ne sera plus vu du film une fois la fillette sauvée).
Film des frères Coen oblige, la réponse ne peut être aussi simple, et la fin du métrage se fait dans un contraste doux-amer nous indiquant que cette échappée in extremis du Mal pour Mattie alors qu'elle semblait devoir y succomber n'aura pour effet sur le spectateur que de nous rappeler le caractère fondamentalement frustrant de l'existence : malgré le rapprochement final des deux personnages par le déplacement de la tombe de Rooster sur les terres familiales de Mattie, elle ne peut que s'éloigner en portant ses blessures et sa robe de deuil, tentant tant bien que mal de se "reposer sur le bras éternel"...