Truth and Justice
7.6
Truth and Justice

Film de Tanel Toom (2019)

« L’homme qui pensait vaincre les morts »

Avertissement : préparer vos tartines, ça risque d’être long.


1870, Empire russe (actuelle Estonie), Andres s’installe dans sa nouvelle ferme et souhaite entretenir et rénover celle-ci afin de la transmettre aux générations suivantes. Il devra se battre contre la nature, les tensions avec son voisin et ses propres croyances.


C’est l’histoire d’un homme qui est prêt à tout pour réaliser ces rêves. Mais, tout comme Icare le fit, n’a-t-il pas dépassé ses limites au point de tout perdre ?


La forme
Le film dans sa forme globale dépeint la vie d’un fermier au 19e siècle qui achète une ferme et s’y installe avec sa femme. Le lieu, appelé la colline du voleur, marécageux et inhospitalier, va mettre le couple et la famille à rude épreuve. Le film se concentre sur ce qui incombe pour une famille en 1870 : travailler, assurer sa descendance avec un héritier masculin, appliquer la loi et suivre les principes de l’Église.


La forme est construite intelligemment. Elle introduit des répétitions avec l’évolution de la temporalité visible au fil des saisons où les mêmes difficultés reviennent, les mêmes travaux sont à (re)faire… Elle introduit également des variations afin de titiller notre attention. Par exemple, les querelles avec le voisin Pearu, fermier alcoolique qui a déjà fait partir les deux propriétaires précédents. S’ajoutent d’autres évènements dramatiques comme la perte de sa femme ou des enfants de sa seconde épouse.


Le film de 2h45, transcrit à l’écran la vie d’un fermier en 1870. Les dates présentées dans le film sont moins marquantes pour le spectateur puisqu’elles ne sont pas liées à un évènement historique majeur. C’est pourquoi les variations et répétitions présentées supra sont utiles et suffisantes.
Il s’agit plus d’un développement sur l’évolution du personnage principal (son arrivée à la ferme, ses combats, sa transformation, le constat de son échec).


La narration
Le personnage est l’élément central de l’intrigue. C’est par ce dernier que le spectateur donne du sens au film. Une fois le film lancé (un setup classique présentant les personnages et les lieux), le spectateur s’attend à une confrontation avec le voisin. Ce dernier est présenté comme foncièrement mauvais (il ment, magouille et tire profit de chaque situation). À l’inverse, Andres est pieux, guidé par les valeurs de la vérité et de la justice.


Au fil de l’intrigue, le personnage évolue et se transforme : jeune et naïf, il se laisse marcher sur les pieds, abasourdi par les mensonges de Pearu au tribunal. Puis, il adopte petit à petit les mêmes méthodes, devenant aussi mauvais que son voisin aux yeux de sa famille. Enfin, son monde s’écroule lorsqu’il prend conscience que personne ne veut de son rêve, de sa ferme et de cette vie.
Le personnage évolue et tente de combattre, à contre-courant, ce que la narration sous-tendait depuis le début : ce n’est pas un endroit pour mener sa vie.


Il s’agit d’une narration limitée au personnage principal dont on relève les effets suivants sur l’intrigue :



  • Premièrement ne pas tout connaître de Pearu laisse planer le doute sur ses motivations et sur sa personne (est-il si mauvais que cela ?).


  • Deuxièmement, cette narration limitée transmet une information objective. Cela signifie qu’on ne connait pas les pensées ou le ressenti du personnage. On peut le voir ou les comprendre, mais rien n’est expliqué clairement (par exemple un personnage qui se parle à lui-même, ou dont on entend les pensées). La conséquence est une transformation subtile du héros.



Le style
Le style du film est balancé entre une mise en scène au poil et l’usage d’une cinématographie intéressante.


La mise en scène s’avère pertinente et se consacre à l’essentiel : montrer la vie d’un fermier à cette époque. Le réalisateur utilise des plans larges superbement stylisés qui renforcent l’impact visuel et dramatique de l’action. Une action centrée dans des plans fixes et le contraste des couleurs et lumières.


Les costumes tout comme le make-up sont bons sans pour autant avoir un rôle causal dans l’intrigue du film. Un exemple de make-up : en général les sourcils plus larges et courbés apportent de la gaité comme c’est le cas chez Andres, le héros du film. À l’inverse, Pearu a les sourcils épais et plus droit ce qui apporte un regard plus dur au personnage.


La performance des acteurs se veut réaliste : dépeindre adéquatement le contexte historique sans surjouer l’animosité des deux antagonistes.


L’aspect cinématographique est intéressant sur plusieurs points. Tourné en utilisant un style épique, on retrouve des plans très larges (extrêmes long shots), souvent fixes et de paysages dont l’angle varie. À part cela, le film utilise peu d’artifice ou autres techniques.


APARTÉ HISTORIQUE :
1870 n’est pas une date anodine. Pour rappel, au 18e siècle c’est la révolution industrielle dont des révolutions agricoles suivront, basées sur deux schémas : un modèle danois et anglais. Les pays de l’Europe du Nord-Ouest adoptent le modèle danois tandis que les pays de l’Est restent sur l’utilisation des domaines.


1870 est également une période durant laquelle l’Estonie fait partie de l’Empire russe et l’Église de la théologie protestante. Ces éléments sont très importants et malgré cela ne semblent pas mis suffisamment en avant. Même si le personnage fait certaines références (être envoyé en Sibérie), c’est finalement assez léger.


C’est dommage, car les enjeux de cette période sont importants, mais on ne le ressent pas particulièrement.

ItSupergreenAvis
8

Créée

le 22 oct. 2020

Critique lue 432 fois

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