Apocalypto avait laissé un souvenir très particulier dans la mémoire du public et des fans de Mel Gibson, si bien que quand Tu ne tueras point fut annoncé, l'attente se fit de plus en plus grande. Un film de Mel Gibson ça se mérite et la patience est une vertu à ce qu'on dit ...
A l'heure où le monde est déchiré par des guerres, qu'elles soient de religions ou de pouvoir, Mel Gibson choisit de raconter l'histoire vraie de Desmond Doss. Un jeune soldat américain qui pendant la seconde-guerre mondiale s'engagea dans l'armée en refusant de prendre les armes. Voilà une fois encore une démonstration du talent de metteur en scène de Gibson, lui qui ne tourne pas sans une réelle motivation, preuve en est avec ce nouveau film qui nous amène à beaucoup de questionnements.
Dans Tu ne tueras point on nous invite à réfléchir sur l'importance des armes à feu, sur leur utilité et sur leur fonction première. Servent-elles à tuer ou bien à défendre ? Ces soldats qui partent au front y vont-ils pour protéger leur patrie ou bien pour tuer sans jugement ? Voilà bien un contexte qui est propice à l'exploration de thématiques fortes, ce que le réalisateur ne manque pas de faire d'ailleurs. Un jeune homme marqué à vie par une mésaventure qui pourrait paraître banale ne va avoir de cesse de vouloir racheter sa faute, cela en s'engageant dans l'armée, mère de douleurs et de destructions. Cet engagement résonne un peu comme un pacte avec le diable, une épreuve que le héros s'inflige pour faire pénitence et accéder au pardon, un pardon qui lui est pourtant déjà accordé.
Tu ne tueras point repose beaucoup sur les convictions du héros, et plus encore ces dernières viennent prendre le pas sur le scénario. Est-ce que nos actes passés définissent la personne que nous sommes devenu ? Doit-on coûte que coûte obéir et aller contre notre libre-arbitre sous prétexte que ce que l'on nous demande est important ? Le film est très habile dans sa manière d'aborder la guerre mais surtout l'engagement personnel vis-à-vis de la guerre. Il faut bien avouer qu'un tel postulat par les temps qui courent ne manque pas de pertinence.
Bien sûr au-delà de ce qu'il souhaite raconter, Gibson nous rappelle aussi qu'il est un vrai metteur en scène et ce film ne fait que confirmer une chose évidente : Il sait raconter une histoire à travers les images. Ainsi les symboles sont forts et la violence quant à elle trouve une vraie justification. Certes les scènes de batailles sont impressionnantes et souvent difficiles à regarder tant le réalisme est poussé à l'extrême, mais là où beaucoup de metteurs en scène se bornent à vouloir nous marquer avec du sang et viscères, Gibson tente de transcender la violence pour mieux servir le fond de son récit. Si violence il y a, elle n'est jamais gratuite. Le champs de bataille ne s'impose pas seulement comme une arène dans laquelle les hommes se déchirent mortellement, il prend bien au contraire des allures d'enfers ou la souffrance vient rappeler l'humanité de ces soldats que l'on larguent ici pour accomplir une funeste mission.
Bien entendu et à l'instar de Braveheart et Apocalypto, Mel Gibson tend à ne rien cacher à son public, quitte à le mettre mal à l'aise. C'est avec une vraie proposition de mise en scène et d'images picturales que le réalisateur traite son propos. Ainsi Andrew Garfield, le visage couvert de sang et les yeux hagards, compose un personnage aussi bouleversant que fort, sûrement l'un des meilleurs rôles de l'acteur si ce n'est son meilleur. Les acteurs sont au cœur de ce récit de cette mise en scène très immersive qui nous entraîne dans les tréfonds d'une guerre humaine où la barbarie laisse parfois place aux plus sincères des élans humanistes. A contrario et pour mieux montrer la dureté de l'épreuve, la caméra se fait voyeuse et n'hésite pas à longer les corps sans vie et les blessures mortelles.
Mais ce que l'on en retient au final ce n'est pas tant ce message de tolérance que beaucoup vont associer à une pseudo-propagande catholique, c'est surtout cette volonté de vouloir nous faire réfléchir à ce que la guerre engendre, à ce que les armes engendrent et aux séquelles qu'elles laissent non pas aux nations seulement, mais surtout à ceux qui tels des pions sont chargés d'accomplir ce qu'on leur ordonne de faire sous la bannière d'un pays ou d'une idée. C'est finalement ce message rempli d'humanité qui nous bouleverse à la fois en tant que spectateur, car le film est manifestement très beau quoi qu'on en dise, mais aussi en tant qu'être humain.
Mel Gibson n'est pas revenu pour faire un film de plus, Tu ne tueras point est indéniablement un sujet qui le fascine autant qu'il l'interroge, comme la page d'un auteur qui avait besoin de mettre ses tourments sur le papier. Une chose est sûre c'est qu'avec un film pareil, c'est tout un monde de spectateurs qui est amené à se faire sa propre idée, pas seulement de la guerre, mais aussi et surtout de cette barbarie qui chaque jour fait des ravages sans que l'on ne comprenne pas toujours pourquoi. Un très grand film c'est certain.