« Je suis un objecteur coopérant »

Après une décennie de démêlées judiciaires ou 'morales' le fou furieux de L'Arme fatale se rachète avec un nouveau film retenu pour les Oscars 2017 : Hacksaw Ridge, judicieusement baptisé 'Tu ne tueras point' pour l'exploitation française (reprenant le cinquième des dix commandements). Une nouvelle fois Mel Gibson derrière la caméra orchestre une œuvre imprégnée de christianisme, sans aller dans la polémique frontale comme il l'avait fait avec La Passion du Christ.


Cette cinquième réalisation se sert de l'attitude du caporal Desmond T.Doss et de ses exploits sur le terrain comme fondement. Ce soldat aurait sauvé 75 hommes pendant la guerre du Pacifique (série de combats des Alliés contre le Japon en 1941-45) après s'être fait enrôlé comme infirmier. Il est venu mains nues sur les champs de bataille afin de rester fidèle à ses convictions religieuses ; la reconnaissance officielle (Médaille de l'Honneur) obtenue par ce relatif dissident achève d'en faire un cas exceptionnel.


Par la voix d'Andrew Garfield cet adventiste se définit comme « un objecteur coopérant ». Au premier abord c'est un grand niais, une sorte de Forrest Gump chrétien. Son engagement est cohérent avec son tempérament, même s'il est étrange en pratique et contradictoire en principe ; ses attaches religieuses et son caractère candide génèrent une force insoupçonnable – et ne la cachent ou ne la trahissent pas, ce qui peut heurter une logique athée et certains préjugés (sur la puissance et le bon sens). Il n'a pas le pouvoir d'arrêter la guerre mais il a celui d'agir au mieux de ses capacités ; contrairement aux apparences il est ultimement réaliste et combatif. D'ailleurs il montre une bonne endurance malgré sa condition physique modeste (et carrément faible par rapport à ses camarades).


Dans le public, l'irritation et l'admiration inspirées par les gens trop près de la perfection seront à leur comble. La défiance et le mépris pourront être forts aussi, perçant même chez les bien disposés, car il est difficile de s'accorder avec des créatures aux allures et comportements si réduits et gênants – les maladresses de niaiseux étant le comble. Jamais Desmond n'est présenté comme un retardé, mais il a encore souvent l'air un peu simple, ou au moins d'un certain genre d'idiot (gentil exalté ou idéaliste carabiné en particulier). Ses crispations apragmatiques poussent à des situations absurdes, au mieux des pertes de temps, au pire des espèces de comédies pathétiques. Le film est loin de céder aux chausses-trappes aguichantes à ce sujet, qu'il s'agisse de caricaturer les positions, les êtres ou de jouer avec ces antagonismes.


Le point de vue est large (l'humour et même un certain sadisme ont leur place – séance Full Metal Jacket soft lors de l'arrivée à l'armée), amoureux de l'élan de Desmond et concentré mais pas crispé comme lui semble l'être. Malgré leur dureté les cadres militaires sont prêts à laisser partir Desmond plutôt qu'à s'amuser avec ce bouc-émissaire volontaire ; chez les futurs soldats comme chez les chefs, le scepticisme, l'embarras (et parfois le dégoût) sont généralement plus forts que l'hostilité pure et brute. Dès cette première heure où plane un soupçon d'imbécillité la foi emporte déjà le morceau, par la suite elle le fait tenir face aux horreurs. Il y aura de rares moments de doutes et jamais de tentation (ou pas à l’œil nu), un tel sentiment étant étranger à celui qui a su se dépasser – et s'abandonner à bonne adresse.


L'énergie du post-désespoir, précocement acquis, éclaire sur son chemin. Ses sauvetages sont parfois inventifs (la terre a des yeux) ou improbables (le dernier filmé), dévoilent les vertus d'un fanatisme serein et bien compris – les vertus de celui qui a fait le deuil de l'essentiel de ses mensonges, accepte sa part et ses limites, tient quoiqu'il arrive en se sachant toujours prêt à mourir. Quelques ralentis inutiles surviennent et le développement ne se fait pas sans coups de mous, mais c'est bien peu de choses par rapport à la profondeur émotionnelle dégagée par le film. Les scènes sur le champ de bataille sont impressionnantes, surtout l'attaque et mieux encore, quand il se plonge dans la guerre, ce film a le mérite de la netteté ; elle est double, morale et esthétique. Il montre la destruction en face (la violence extrême, les pelletées de cadavres, les monceaux de charognes, les pluies de projectiles) et propose des affrontements, des carnages, bref un chaos lisible (à l'opposé du fouillis des films d'action ou de guerre venant sur ce terrain).


https://zogarok.wordpress.com/2017/03/19/tu-ne-tueras-point/

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le 18 mars 2017

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Zogarok

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