L'Odyssée revue et corrigée par les Italiens

Pour pleinement apprécier le péplum "Ulysse" de Mario Camerini, il faut oublier ou plutôt laisser de côté le texte d'Homère. Les puristes seraient tentés de vouloir ne mesurer que les écarts et passeraient à côté du formidable film d'aventures.

Car c'est bien d'abord un grand spectacle qui montre un Ulysse humain, rusé mais impétueux dans son désir d'aventures et de défi face aux Dieux dont en particulier Poséidon. Ce n'est que l'épisode avec Circé, lorsqu'il aura perdu son équipage, qu'il réalisera son envie de retour et qu'il retrouvera progressivement la sagesse. Ulysse est donc, dans ce film, un véritable héros au sens moderne qui n'est pas seulement victime d'un sortilège ou d'un dieu mais qui est aussi en lutte contre Poséidon et la malédiction de Cassandre, avec l'appui d'Athéna, pour pouvoir retourner chez lui.
En cela, il est assez différent du héros d'Homère qui est rusé, prudent et sage, toujours tourmenté par le retour impossible.

En parallèle au personnage d'Ulysse, le film montre la vie à Ithaque où Pénélope a à faire face aux prétendants depuis de nombreuses années et ruse jour après jour pour retarder la décision de rompre l'attente du retour. Elle est soutenue par son fils Télémaque qui veut en découdre ou bien aller trouver les autres héros de la guerre de Troie rentrés depuis déjà longtemps chez eux. Elle est aussi soutenue par Euryclée, la nourrice d'Ulysse et Mentor, le précepteur de Télémaque.

Les scènes d'action ainsi que les effets spéciaux sont spectaculaires et très convaincants notamment la représentation de Polyphème et le combat final d'Ulysse contre les prétendants.
La scène du rocher des sirènes tentatrices est très réussie.

Les costumes que ce soit pour les hommes ou les femmes sont , par choix délibéré, différents de ce que l'on sait de l'époque (chitons, ...) : ça a l'avantage de rendre le film un peu intemporel, ce qui n'est pas une mauvaise idée.

Côté casting, Kirk Douglas est évidemment dans son élément et est très crédible. Silvana Mangano joue le double rôle de Pénélope et de Circé. C'est un point intéressant que Circé, magicienne, apparaisse comme un avatar de Pénélope. Il y a de l'idée, propre au film, mais je pense que le point n'est pas suffisamment développé. Le rôle de Pénélope en femme sage et fidèle, qui se bat au quotidien contre l'envahissement des prétendants est parfaitement bien joué.
Anthony Quinn dans le rôle d'Antinoos, orgueilleux et prétentieux est très bien.
De même que le rôle d'Euriclée assurée par une Sylvie, venimeuse et solidaire de Pénélope.

Cependant, notons plusieurs points où le scénario montre quelques petites faiblesses ou aurait pu être amélioré ou complété.
D'abord, le jus de raisin obtenu par le pressage du raisin ne peut pas enivrer car le vin nécessite une étape lente de fermentation.

Toujours à propos de Polyphème, dans le texte original, Ulysse ne donne pas son nom à Polyphème mais dit s'appeler "personne" par ruse. Ce qui fait quand les autres cyclopes alertés par Polyphème demandent qui l'a blessé, il ne peut que répondre "c'est personne".
Neptune est le dieu romain de la mer et on aurait dû dire Poséidon d'autant que c'est le seul dieu qui soit romanisé.
Plus important, le texte est beaucoup plus progressif (et plus beau) dans la reconnaissance d'Ulysse lors de son retour notamment par Euriclée lorsqu'elle lui lave les pieds et reconnait une cicatrice.
C'est aussi dommage que l'étape Calypso ait été zappée et que la scène où Ulysse entre en contact avec le royaume des morts aient été simplifiée à l'extrême : c'est vrai que le film tel que construit n'en souffre pas vraiment.
Dernier point : dans le texte, Mentor est habité par Athéna elle-même qui veille au grain sur la maison royale d'Ithaque. Ça ne coûtait pas grand chose d'introduire ceci dans le scénario et aurait donné une plus grande portée au personnage.

Ulysse est un excellent film, un excellent péplum mais je ne le classerai toutefois pas dans la catégorie "chef-d'œuvre".