Pourquoi nous sentons-nous toujours obligés d'adapter la littérature au cinéma ? L'impression que l'originalité et le nouveau s'épuisent, grandit sans cesse avec le temps qui passe. C'est assez désolant. D'autant plus lorsque c'est pour étouffer une écriture aussi dérangeante et poignante que celle de Christine Angot. Elle a lutté pour que paraissent ses romans, et c'est finalement la controverse, le décalage avec les normes sociales, qui l'ont fait naitre aux yeux du (grand) public. Ce film a tendance à cacher la misère sous le tapis. C'est pourtant ce qui présageait un grand film !
Ni mauvais, ni bon, Un amour impossible est fade. C'est difficile de l'avouer alors que nous sommes forcés de constater que la mise en scène et le jeu d'acteur, en grande partie, sont justes. A commencer par Niels Schneider (alias Philippe) que je n'avais vu qu'une fois coiffé d'une coupe blonde et frisée et doté d'un fort accent québecois dans J'ai tué ma mère de Xavier Dolan (2009). Du début à la fin il incarne Phillipe à la perfection, ce connard bourgeois à qui on passe tout pour sa belle gueule et à qui on a envie de hurler qu'il est un salaud parce qu'il est franc et sans gêne. Beau parleur, bon sauteur, pas menteur, briseur de coeur. Le plus égoïstement du monde il bouleverse la vie d'une femme, en fait sa chose et lui pourri tout simplement l'existence par sa simple présence. Il mérite sa place dans la liste des pires antagonistes. Mais faut-il rappeler que ce putain de Philippe a réellement existé par le passé, existe aujourd'hui et existera certainement toujours ? Peu importe qu'il soit l'enveloppe fictive de Pierre Angot ou non, toujours est-il qu'il est la représentation cinématographique d'un père incestueux, d'un amant amère et machiste, d'un mari infidèle, d'un homme cupide et intéressé. Finalement qu'à-t-il pour plaire ? Ah... sa culture. C'est sans doute ce qui le rend aussi horrible : le fait qu'il sache manier les mots pour manier les femmes. Mais Schneider n'a pas autant de mérite que Virginie Efira (alias Rachel), qui du haut de ses quarante et un ans a su jouer le rôle d'une femme de 26 ans jusqu'à 70 ans. Niels Schneider aussi, me direz-vous. Seulement lui n'a pas eu a subir tant de transformations physiques qu'elle, (déjà parce qu'il a dix ans de moins que sa "fiancée" [petit passage "vie priée", désolée]) et il n'a pas eu non plus à faire évoluer son personnage au fil du temps car Philippe reste le même homme tout au long de sa vie. Tandis que la naïve Rachel s'endurcit, muri, elle n'a pas le choix, puis elle s'efface, elle vieilli, elle subit. C'est à la fois une prouesse de l'actrice que de vieillir et d'évoluer autant à l'écran, qu'un presqu'échec. Parce que ça ne fonctionne pas à tous les coups. Par moment le caractère de Rachel saute, il saute une étape, il "beug". Parfois Virginie Efira est troublante de simplicité et de réalisme et parfois elle est superficielle ou à côté de la plaque. Comment lui en vouloir. Quant à Chantal, elle est incarnée par quatre actrices différentes (voir six si l'on considère le nouveau-né comme un acteur, autant que le bébé...), et il aurait été absurde de faire autrement. Les actrices sont bien choisies, mais je ne crois pas qu'elle remplissent toutes leur rôle à merveille. Inutile de détailler le jeu de chacune.
Mais il est peut-être bienvenu de relever la rugosité de la voix off. D'un côté il fallait qu'elle soit rude et brut, aussi incisive que les courtes phrases choc de Léonore, toujours. D'un autre côté, l'aspect proche du documentaire n'est pas très fluide dans un film aussi romancé. Cependant, je comprends après coup que cette façon de narrer permet de briser une nouvelle fois la barrière entre réel et fiction, d'autant plus lorsqu'on voit apparaître Chantal à environ trente ans et qu'elle a tout bonnement l'air de Christine Angot. Certes, si le personnage narrateur s'appelle Chantal c'est qu'il n'est pas Christine Angot, et quand bien même ce même personnage s'était appelé Christine, il n'aurait toujours pas été Christine Angot. Néanmoins il est impossible de ne pas faire le parallèle entre Chantal et l'auteur d'Un amour impossible. Là est le paradoxe : Chritine Angot refuse qu'on parle d'"autofiction", elle refuse qu'on juge sa personne pour ce qu'elle écrit, mais dans le même temps c'est elle qui sème le doute entre réalité et fiction parce qu'elle veut dénoncer des vérités et que le meilleure moyen, selon elle, de déployer un message engagé c'est de s'employer à l'authenticité, la véracité du récit. Elle a raison, ça fonctionne. Personnellement je me sens concernée, du moins touchée, par l'histoire de ces femmes. Mais je ne crois pas que ce film remet à l'ordre du jour ce type de questionnement. Il ne fait que le banaliser. Il n'y a qu'à compter le nombre de spectateurs présents hier soir dans la salle obscure : nous n'étions pas plus de dix, alors que le film venait de sortir la veille. Virginie Efira en tête d'affiche n'aura pas attiré les foule cette fois... peut-être qu'on préfère la voir rire et sourire (d'où l'affiche [décalée] d'Un amour impossible ?)
Ce qui en décevra certain en tout cas, c'est la faiblesse avec laquelle Catherine Corsini (réalisatrice) et Laurette Polmanss (scénariste) approchent l'un des sujets phares du long-métrage: l'inceste. Il est tu la grande majorité du temps, il est noyé.
Il n'émerge que deux fois : au moment de la révélation inévitable à Rachel qui se sent honteusement démunie et au moment de la rationnalisation de l'acte de Philippe.
Ce n'est qu'à la toute fin, lors de l'analyse un peu brute que fait Chantal de ce qu'elle a pu subir, que l'impact de l'inceste nous revient en pleine face. Cette scène d'échange entre Chantal et Rachel, une scène de réconciliation mère/fille agréablement filmée, même si elle est un peu maladroite, est la morale (pas très subtile) du film. Elle nous dit : Oui, il y a des gens qui subissent ça dans leur vie et ils doivent vivre avec. Si jamais ils ne le peuvent pas il se donnent la mort. S'ils le peuvent ils le ressasseront jusqu'à leur mort.