Encore un film poignant qui traite de la présence toxique x1000 d'un homme dans la vie d'une femme. Le film décrit un amour impossible entre un bourgeois salaud (qu'on ne met pas longtemps à détester, lui et sa franchise terrible) et une modeste employée de bureau, dont les premières amoures aboutissent à un enfant, non reconnu par le père.
Il l'avait prévenue de sa frivolité et de sa volonté de non engagement. Lorsqu'il "déchargea" (le film regorge de moments crus comme celui-ci, une langue vraiment acérée) en elle, l'enfance et l'avenir de cette enfant sont déjà bien compliqués. Car le film dévie de cette relation amoureuse pour évoquer les rapports de l'enfant à sa mère, qui l'élève seule, et à son père, qu'elle rencontre très tard, adolescente, et qu'elle admire pour sa culture. Petit à petit, on voit Chantal se faire aspirer par son père, la mère se sentant abandonnée (souffrant de dépression).
Assez vite on soupçonne le père de viol sur Chantal (celle-ci devenant agressive et parfois sujette à des angoisses inédites) ; mais ne voyant pas venir la confirmation dans la narration, on tend plutôt pour des crises adolescentes, cet âge où on ne pardonne rien à ses parents. On pense que la mère fait les frais d'une éducation seule - et à ce propos, il est bon de mentionner l'intérêt personnage incarné par Virginie Effira qui parvient à donner un confort et un cadre éducatif excellent à sa fille tout en conservant des ambitions professionnelles. Plus tard, la relation entre Chantal et son père se pérennise au point que ce dernier accepte enfin de la reconnaître. Tout semble s'arranger entre les trois protagonistes. La réalisation est parfois trop suggestive, trop évidente et n'entretient pas suffisamment le mystère : Chantal jeune est dans l'adoration pure de son père (ce qui semble étonnant), Rachel retombe amoureuse de Philippe, de manière cyclique. Cet aspect cyclique est renforcé par les nombreuses ellipses et la non-linéarité du film ; et cela procure un sentiment de temps qui passe assez intéressant pour le sujet du film.
Et puis, voilà que le petit ami de Chantal (d'ailleurs convoité par la mère) vient rappeler nos intuitions : Chantal subit de viols de la part de son père. Cette pirouette dans la narration fait son effet, on enrage, purement et simplement. Rachel, la mère, ne saura pas réagir : elle ne dira rien, ni à sa fille ni au père, se contentant d'être présente et vigilante. On comprend qu'elle est dévastée de s'être faite avoir, honteuse de sa crédulité, se détestant d'avoir impliqué sa fille auprès de cet homme-bourreaux. Elles s'éloigneront, les vagues de la vie faisant leur effet. Rachel se trouve un compagnon ; Chantal devient mère. Les ellipses sont nombreuses, pour nous faire comprendre que les deux femmes ne se parlent plus, ne parviennent plus à se parler. Ce non-dit est trop puissant pour continuer à faire semblant. C'est la leçon de ce film : le viol est un traumatisme pour les victimes sur plusieurs dizaines d'années, qui pourrit et mâture discrètement dans les corps meurtris. L'errance psychologique causée par le viol nous apparaît dans sa grande violence, l'acte en lui-même relégué au second plan (à ce titre d'ailleurs le film ne traite pas des événements mais bien de la construction de Chantal dans ce contexte). "Pourquoi n'as tu rien dit ?" demande la fille à sa mère. C'est la réplique du film qui marque le plus tant elle déflagre de simplicité et de vérité. La réponse à cette question, et c'est un peu dommage, sort de la bouche même de Chantal qui explicite toute cette histoire par une volonté du père de maintenir à écart social avec Rachel. L'explication est certes convaincante, juste même, mais se l'entendre dire à la fin d'un film de 2h, c'est se sentir un peu élève-apprenant, à qui l'on dirait de but en blanc la morale. D'autant que même sans ce dernier échange (qui reste beau de sincérité et d'abnégation et de complicité retrouvée), tous les enjeux sont là et font leur chemin dans notre tête. Je crois beaucoup en la force de l'implicite, et ici la réalisatrice fait un choix inverse qui laisse un peu sur sa faim.
Amour impossible donc. D'abord entre un homme imbuvable et une femme sincère ; puis entre une enfant et son père, qu'elle ne connait pas ; ensuite, entre une mère, coupable aux yeux de sa fille de n'avoir rien dit ; et pour finir, amour impossible pour une mère et sa fille envers l'homme qui les aura toutes deux, en si peu de choses, en si peu de moments, abîmées pour longtemps.