« I guess rich people are just poor people with money »
Plus on remonte dans le temps, plus on prend la mesure du recyclage dans les œuvres de fiction.
Ce film, c’est Very Bad Trip avant la lettre : l’une des première séquences est une tentative de reconstitution de ce qui s’est passé la veille, les cocards étant des témoignages assez efficaces de l’agitation qui y régna. La lourdeur en moins.
C’est aussi un prequel de Pretty Woman : un riche désabusé engage une femme du peuple pour remettre de l’ordre dans sa vie. La vulgarité en moins.
C’est aussi Joséphine Ange Gardien. En bien.
Ginger Rogers, sorte de Mitchum au féminin, d’une classe désabusée hors-norme, dans une kyrielle de répliques imparables digne du screwball le plus ciselé, déboule dans un hôtel particulier engoncé dans son opulence fin de race. La belle idée consiste à ce que le père de famille l’engage pour mettre le désordre et valider les accusations les plus folles de tout le reste de la famille. Cette double fiction dans laquelle se révèlent non l’accusé mais les accusateurs est un superbe strike, enjoué et délirant. Dans l’esprit d’un Feydeau ou même des comédies de mariage de Molière, d’un rythme trépidant, unité de lieu et d’action sont exploitées au cordeau pour converger vers le dénouement le plus heureux. C’est par la feinte que le retour à la normale est possible, par le jeu maïeutique de l’ange gardien qui laisse croire aux personnages qu’ils prennent eux-mêmes les décisions pour y trouver le courage de continuer seuls.
Film gauchiste comme peut l’être un film américain, à savoir que le discours prolétaire est présent mais suffisamment caricatural pour qu’on puisse s’accommoder de l’ordre établi, il tient néanmoins un discours sur la fracture sociale assez rare pour être remarqué, qu’on trouvait aussi dans Rendez-vous de Lubitsch.
La force de cette comédie enlevée est enfin de converger vers une redéfinition de la vérité des êtres et de leurs relations. Le discours intime entre le mari et sa femme qui clôt le film est d’une rare authenticité, modeste et touchant. Lorsqu’ils consultent l’album de photo, leur regard s’arrête sur un cliché que nous ne voyons pas. « Elle aurait 18 ans », dit simplement l’épouse après un court silence, et avant qu’on ne tourne la page. Cette évocation très étonnante et totalement secondaire dans le récit est bouleversante et tout à fait révélatrice de la grande qualité de ce film pourtant méconnu.