Un beau film sur la souffrance au travail qui n'évite pas certains ecceuils propres aux films sociaux made in France, notamment celui d'un parcours tracé d'une ligne droite qui ne dévie jamais de sa trajectoire. Vincent Lindon est devenu l'archétype du héros ordinaire dont la moralité est intrinsèquement supérieure au vicissitudes alentours, et de ce fait il ne peut que triompher face à l'immoralité du capitalisme ultra libéral. C'est la beauté de sa résistance courageuse aux maux de notre époque qui rend sa carrière éminemment valeureuse et émouvante. C'est également sa limite, qui schematise parfois jusqu'à l'excès la bienveillance populaire si chère aux nouveaux apôtres de la psychologie positive et du développement personnel.
On ne peut pourtant pas complètement lui jeter la pierre car il est sincèrement investi dans ce rôle (comme dans sa carrière en général) et arrive (presque) toujours a nous toucher par son engagement total. Il en émane quelques belles scènes entre son personnage et celui de sa femme (Sandrine Kiberlein, pleinement convaincante en divorcée apeurée par le futur), ainsi qu'un regard attendrissant sur son fils (Anthony Bajon, étoile montante de l'hexagone très juste ici).
De même l'élite manageriale évite avec a propos la caricature du démoniaque monstre froid, sans pour autant être aseptisée. C'est peut-être l'une des plus belles réussites du film, montrer a quel point le langage technocratique est froidement deshumanisant sous ses atours de rhétorique illustre. On ne parle plus de plan social pas plus que le licenciement n'est communément admis dans cette nouvelle nomenclature purement administrative. On préfèrera user d'expressions feutrées pour faire jouer la concurrence jusqu'à l'épuisement professionnel. On tentera d'amadouer les salariés et les responsables locaux avec des marges exponentielles ainsi que des tableaux informatiques censés booster la compétitivité entreprenariale. Tandis que les hauts responsables n'entendent renoncer pour rien au monde à leurs privilèges financiers promises dès leurs prises de fonction, les traders de Wall Street poussent le cynisme assez loin pour chanter les louanges de la Bourse mondiale. A noter que l'une de ces pontes est interprètee par Marie Drucker, et qu'elle s'en sort étonnamment bien. Tenue par son obligation de résultats, elle demeure impassible face aux remontrances de ses sous traitants. On sent pourtant qu'elle ne l'est pas autant que sa rigidité pouvait le laisser supposer, allant même jusqu'a fendre l'armure de l'affect. Cela ne dure jamais bien longtemps, mais l'empathie semble pourtant réelle et sincère.
Le quinquennat Macroniste qui s'achève semble légataire de ce type de cinéma contestataire qui veut dénoncer l'emprise de la financiarisation dans le quotidien, sans toutefois trouver l'angle adéquat qui réussirait à synthétiser tous les enjeux sociaux politiques qu'ils recouvrent. 2022, année du renouvellement électoral ou d'une mutation culturelle?