Après s'être penché sur les salariés dans leur lutte pour vivre ou pour survivre, Stéphane Brizé se penche cette fois sur le rôle pivot des N et N+1, ces 'chefs de', dont le seul pouvoir ne réside finalement que dans le rôle d'exécutant, aux ordres d'un capitalisme désincarné qui dicte les implaccables lois du marché.
Un autre monde est d'une précision quasi documentaire, servi par le jeu toujours impeccable de Vincent Lindon , et appuyé par un casting solide, qui inclut de nombreux amateurs et trois très bons seconds rôle - Sandrine Kiberlain, Anthony Bajon, Marie Drucker.
La force du film repose sur son image, serrée, et son montage, ciselé, qui n'offrent pas de répit et nous englue dans le dilemme moral qui ne nous lâchera pas d'une semelle. Il est joliment appuyé par la musique froide et lancinante qui s'incruste et progresse dans nos cervelles, comme un fond de mal de crâne.
Un autre monde est aussi très fort grâce à ses dialogues et le cynisme qu'ils reflètent. Dans ses confrontations avec le siège ou avec ses salariés, Lindon est la marionnette d'un jeu de dupes désespérant où chacun tente de manipuler les valeurs morales de son subordonné pour le profit de l'entreprise. Pardon, des actionnaires.
Je vois toutefois deux faiblesses principales dans ce film: malgré un jeu impeccable, le fils de Lindon incarne quelques métaphores un peu trop appuyées (le laïus sur les chiffres, le burn out, ou la marionnette ) dont on aurait pu se passer sans affaiblir le propos.
Mais la plus problématique reste sa conclusion un peu trop manichéenne. Brizé privilégie l'idéalisme au réalisme. A moins que ce ne soit là que réside cet autre monde?