C’est le contre-champ exact d’En guerre, le précédent film de Stéphane Brizé. Ici aussi il s’agit de suivre les répercussions d’un projet de licenciement d’une grande boite. Simplement il ne s’agit plus de voir ces répercussions sur les salariés, mais sur les cadres. C’est super bien fait, bien écrit, fort quand ça s’installe sur la durée. Mais le film me gêne beaucoup.
Tout d’abord j’ai de plus en plus l’impression (et cette trilogie surtout) que les films de Brizé sont en réalité des films de Lindon maquillés en films de Brizé avec Lindon. Ici c’est d’autant plus embarrassant que cette histoire de couple et de séparation, c’est peut-être aussi l’histoire du couple de Kiberlain & Lindon et de leur séparation. Ça c’est vraiment le premier truc qui me sort de la supposé universalité revendiquée par le film.
Ce qui appelle une autre problématique : Je suis très gêné qu’un film si réaliste en apparence, au travers de son verbe et du mécanisme global d’un projet de licenciement, soit si peu réaliste dans sa finalité. Je crois qu’il ne sait pas choisir entre la fable et le réel. Il choisit les deux, mais je ne crois ni à l’un ni à l’autre. Pas sûr d’être très clair mais en gros je trouve qu’il veut manger à tous les râteliers et notamment durant ses cinq dernières minutes. Dans En guerre j’y croyais à mort en cette sortie. Là non.
Autre chose : Brizé est toujours très à l’aise dès qu’il faut filmer les corps sociaux, les casquettes de chacun disons. Ici le cadre, de manière globale, se sépare en plusieurs branches, grosso modo le cadre régional, le cadre France, le cadre monde et les actionnaires. Dans En guerre, il filmait admirablement bien les travailleurs, aussi. Mais il veut continuer de les filmer un peu ici aussi. Sans le faire. On parle beaucoup des ateliers, mais on ne les voit jamais.
Il veut simplement tenter de mettre au même niveau ce cadre et les ouvriers. Et pour ce faire, nous le voyons travailler, son cadre, à savoir Lindon. Sur son ordinateur. Le soir, avec un sandwich dans la main. Le mec n’arrête pas. Il est donc l’inverse de ce qu’on imagine être le quotidien d’un patron. Il est dominé, par les cadres supérieurs. Très bien. Mais il est aussi plein de bonté : Il est prêt à sucrer ses primes.
Et il aura sa sortie rédemptrice et christique. Héroïsé mais sans être un martyr (comme dans En guerre) puisque le film s’arrête là où ça lui convient. Le mec retrouvera sans doute un job du même acabit, il en est dépendant financièrement et puis ces dernières images lui promettent même une famille reconstituée. Donc la lourdeur est sensiblement la même qu’on trouvait déjà dans La loi du marché. Ce sont les à côté de cette ligne claire : le divorce du couple, le burnout du gamin.
Une scène symbolise cette lourdeur : Les parents viennent rendre visite à leur fils, probablement dans un hôpital psychiatrique. Et le gamin ne cesse de calculer le temps qui leur a fallu pour venir. Et ce calcul c’est évidemment un écho au travail de son père, qui doit affronter un plan uniquement régenté par des chiffres. Bon voilà, ça reste impressionnant quand même. Mais problématique.