La première fois, dans le cinéma de série B horrifique dont Corman est un solide artisan, que je regrette une absence d'ambition plus grande pour donner tout le corps que méritait ce scénario. Avec un budget extrêmement réduit (50 000 dollars), un temps de tournage rachitique (5 jours), "Un Baquet de sang" ne peut raisonnablement pas faire autre chose qu'illustrer un peu platement une histoire d'horreur légère, dont le caractère social aurait mérité un peu plus que ces 65 minutes.
Ne serait-ce que pour l'interprétation de Dick Miller dans le rôle Walter Paisley, que je n'ai jamais vu aussi jeune : petit coup de cœur.
La satire enfle d'entrée de jeu, alimentée par la pauvreté des moyens et l'obligation d'efficacité : il y a des films qui en font trop, et d'autres qui en font trop peu. Dans cette seconde catégorie, Corman s'illustre parfaitement en taillant à la serpe un portrait vite fait d'un bar beatnik des années 50, avec une faune de marginaux en tous genres, poètes, musiciens, plasticiens, tous rivalisant de génie dans le grotesque, la posture, le délire, l'égocentrisme. C'est un peu drôle, surtout que le tableau est appuyé par des chansonnettes à connotation horrifique, avec des petits détails très à propos, mais ça ne va pas chercher bien loin. Il faut également accepter une bonne grosse suspension d'incrédulité pour parvenir à adhérer à l'art dans lequel s'engouffre le protagoniste : la sculpture en argile sur corps réel. On commence par un chat, histoire de s'entraîner, avant de passer à l'être humain une fois que la notoriété a fait cramer les derniers neurones. La progression psychologique de ce pauvre Miller ne brille pas par sa densité ou sa perspicacité, malheureusement. Le gérant du bar est un personnage qui souffre des mêmes travers : il est censé connaître le secret de Walter, mais son oscillation entre soif du profit et sursaut moral ne pèse pas lourd.
Maladroit comme son protagoniste, en résumé. Ce coup de couteau séminal à travers la cloison qui lance une carrière, on s'en souviendra. Un peu grotesque, un peu sarcastique, enrobé dans une sauce satirique, et bien trop rapide dans la vie d'artiste qui arrive en un clin d'œil. Le potentiel est là, dans l'ombre de Poe, mais la comédie noire aurait pu atteindre un objectif bien supérieur si seulement elle se l'était fixé.