Un Baquet de sang est un film réalisé par Roger Corman. L’amateur gourmand sait à quoi s’attendre, avec une production modeste, flirtant généralement vers la série B. Mais avec malgré tout un certain charme, une certaine naïveté dans le ton, avec souvent quelques bonnes idées.
Un Baquet de sang pourrait être un film de plus dans la filmographie de ce bon vieux Roger. Il retrouve son fidèle scénariste Charles B. Griffith mais aussi certains de ses acteurs habituels. Le grand Dick Miller en est le personnage principal, Walter Paisley. Ce nom sera d’ailleurs repris pour plusieurs autres rôles interprétés par l’acteur, que ce soient des films de Roger Corman, de Joe Dante (dont il était l’acteur fétiche) et d’autres encore.
Mais le premier Walter Paisley, c’est celui dans Un Baquet de sang. C’est un gentil serveur, travaillant dans le café “La Porte jaune”. Il est d’un caractère un peu simple, se fait humilier par d’autres, mais lui s’enivre de la compagnie des artistes, dont le poète Maxwell Brock. Il voudrait en devenir un lui aussi, c’est son rêve. Mais ses tripatouillages de glaise ne donnent rien. Jusqu’à ce qu’il tue accidentellement le chat de sa logeuse. En recouvrant son cadavre d’argile, avec le couteau qui y est planté, il crée sa première oeuvre. Celle-ci plait, on commence à le voir avec un peu plus de considération. Mais le reste de sa carrière devra se baser sur la mort.
Dick Miller incarne avec une certaine justesse ce personnage au coeur simple, mais dont les ambitions se paieront dans le sang. Dos courbé, regard dans le vague, Walter prendra de l’assurance, mais semblera toujours un peu démuni, à la fois dans ses rêves fragiles, ses erreurs funestes et même dans ses relations avec les autres.
Le film est riche d’un certain nombre de personnages qui ajoutent une certaine dérision à un sujet qui serait assez dur sans. Dans ce café s’y côtoient le personnel, bien sûr, mais aussi une clientèle assez diverse. Les beatniks en ont fait leur QG, des flics infiltrés guettent les faux pas, des bourgeois y viennent s’encanailler et deux drogués, aux dialogues embrumés sont d’amusants commentateurs. C’est tout un petit monde qui y trouve refuge, pour se montrer ou passer le temps. Roger Corman et Charles B. Griffith auraient arpentés les cafés de ces époques, et on peut y sentir un certain naturel.
Seul le personnage du gérant de bar est vraiment raté. Il a découvert le secret de Walter. On devine qu’il est sensé osciller entre la recherche du profit et l’envie de tout arrêter, mais c’est assez mal abordé, et l’interprétation ruisselante d’Anthony Carbone n’aide guère. Mais d’autres personnages s’en sortent admirablement, à l’image de celui de Barboura Morris, serveuse, amie, inspiratrice et peut-être plus, ou du poète Maxwell, interprété par un Julian Burton massif, poète de l’anticonformisme mais aussi pique-assiette, un artiste aux contradictions évidentes mais pourtant assez sympathique.
Le film d’ailleurs aime bien se moquer de ces artistes de la Beat Generation, des beatniks. Il y a les discours et les actes de certains, bien diférents, Mais il y a aussi la prétention de ces vers ou de ces belles déclarations, qui se révèlent parfois bien vains. L’interprétation de l’art est ainsi moquée, à l’image de ces analyses de l’oeuvre de Walter. Ou bien ce mode de vie qu’on qualifierait volontiers de bobo à l’image de ce petit déjeuner prétentieux, “pancakes au soja et au germe de blé, nectar organique de goyave” et autres huiles naturelles.
Venant de personnes qui usent avant tout le vernis des tables plutôt que debout à changer la société, c’est assez amusant, tel que nous les présentent Roger Corman et Charles B. Griffith. Mais cette hypocrisie guide aussi Walter, lui donnant un but mais aussi une justification à ses actes. Il n’a pas le recul pour avoir le regard critique nécessaire, il veut juste faire partie de ce monde.
Ses actes peuvent s’excuser, mais ils n’en restent pas moins assez horribles. Le film reprend l’idée de ces films d’horreur de musées de cire, mais le cadre est bien différent. La folie qui s’empare de Walter est triste, mais il est de plus en plus dificile de lui trouver des justifications. Le film n’est guère violent, usant plus volontiers de la suggestion. Mais une certaine scène illustre bien la bascule dans une angoisse plus diffuse, quand le sang du premier mort coule de sa cachette. Walter y glisse un baquet et réfléchit à ses actes. On le voit s’interroger, tourmenté sur sa chaise. Et derrière lui on aperçoit à peine le filet de sang couler, rythmé par l’affreux bruitage.
Le film aurait été réalisé en 5 jours. Et pourtant il démontre d’une mise en scène assez soignée, composée de quelques beaux plans qui jouent à la fois avec les éclairages, les perspectives et parfois les obstacles. Une scène discrète est pourtant révélatrice de l’attention portée au film, avec Walter ayant enfin le droit de s’assoir à une table comme un client, tandis que les tables derrière lui représentent les différentes catégories côtoyant le bar. Walter reste à part. La bande-son du film est d’ailleurs très soignée, signée Fred Katz. Ce musicien de jazz a eu une belle carrière, mais il a aussi travaillé pour quelques bande-sons, celle-ci est très jazz, douce mais angoissante.
Cette petite production n’a pas à rougir. Ses quelques craquelures se voient. Mais le film a pour lui un certain nombre de qualités, parmi lesquels son cadre, ses personnages et son humour. Ce film d’horreur à l’humour noir en entraînera deux autres, dont le célèbre La Petite boutique des horreurs, mais il eut aussi les honneurs d’un remake télévisuel visiblement ambitieux en 1995 et même d’un spectacle musical en 2009.