Quand la farce vire au cauchemar, que les rires creusent des sillons pourpres d’une tristesse à crever, Un bourgeois tout petit petit prend toute sa dimension. Celle d’une œuvre transgenre inondée du pessimisme morbide de l’Italie des années de plomb, de sa violence et son désespoir.
[Avertissement de l’ours] Le reste de cet avis pourrait ôter à ce magnifique film sa puissance s’il est lu avant projection. Un bourgeois tout petit petit mérite d’être découvert sans en savoir trop.
Porté par un acteur qui se laisse dévorer par son rôle, le film de Mario Monicelli fait l’effet d’un uppercut rageur. Bien malin celui qui pourra anticiper l’étape charnière qui fait muter la comédie en drame lourd. C’est avec patience et minutie que le cinéaste porte ses personnages jusqu’au point de non retour, sans oublier de brouiller les cartes au passage : rira bien qui rira le dernier.
Cette fable sociale à l’italienne emprunte aux maîtres du genre leur habileté à croquer leurs semblables, à dérider les situations les plus improbables — délicieuse séquence d’intronisation d’un homme désespéré dans la confrérie des francs maçons— mais aussi leur unique sens du rythme. Pendant une bonne heure, il n’est question que d’un concours à réussir et à aucun moment pourtant, Monicelli n’ennuie. C’est même tout le contraire, il fait naître le sourire alors qu’il jalonne tranquillement son chemin vers la séquence phare de son film, celle qui se doit de transpercer les cœurs. Et le fait avec fracas.
Dès lors, ce sont les terres du poliziesco que foule allègrement Monicelli. Sans concession, il fracasse les cranes, fait pleurer les veuves et remplit les cimetières, sans oublier toutefois de rappeler que l’on peut sourire de tout, y compris du nihilisme lorsqu’il pointe le bout de son nez sans crier gare, pour faire d’un fonctionnaire appliqué une main de dieu bien radicale.
Forcément, un exercice de style aussi assumé prête parfois à confusion, certaines idées fonctionnent un peu moins que d’autres, mais au moment de faire le bilan, les égarements s’effacent. Je ne garderai en mémoire de cette plongée infernale dans l’Italie poisseuse des années 70, que la puissance de sa narration, le malaise particulièrement saisissant de cette cabane au fond du jardin ainsi que la prestation fabuleuse de Alberto Sordi.