J'ai voulu revoir en salle ce Condamné à mort... qui m'avait (il y a des années de cela) grandement impressionné.
Je me souvenais des principales péripéties de cette évasion : sa préparation pendant des jours et des jours, minutieuse, sidérante (et difficilement contestable puisqu'on sait que c'est une histoire vraie), sa réalisation en une nuit, avec toutes les inconnues qu'elle comporte (mais l'organisateur de l'évasion ne se sait-il pas en instance d'être fusillé ?).
C'est donc moins sur le fond que sur la forme que mon attention s'est tout d'abord focalisée, je veux dire sur la mise en scène des faits et gestes jalonnant la préparation puis l'exécution de cette évasion. Il se trouve justement que le film a reçu le prix de la mise en scène à Cannes en 1957. Or, de mise en scène, on a l'impression qu'il n'y en a quasiment pas. C'est archi-dépouillé, "une épure" a-t-on coutume de dire. Le film semble n'être fait que de : un vieux fort ayant repris du service, quelques comédiens inconnus, une caméra et trois bouts de ficelle. Et pourtant ça marche, on y est ! Au côté de ce jeune lieutenant Fontaine tout récemment incarcéré, sans doute aux portes de la mort, mais avec quand même chevillée au coeur une volonté inflexible de tout mettre en oeuvre pour s'évader. On y est par quels moyens ? Une photographie en noir et blanc. Un éclairage chiche et naturel, le clair-obscur qui tamise l'intérieur de ce fort-prison monastique. Une cellule de rien du tout, un couloir, un escalier de pierre, une cour prise entre de hauts murs gris sale. Bref, un décor, des costumes (vieilles fringues, godillots et chaussettes trouées), des dialogues réduits au minimum.
Un texte imprimé sur la pellicule le dit au départ du métrage : le film relate une histoire vraie, sans ornements.
Le lieutenant Fontaine, dès son arrivée dans la prison, parvient à se lier vaille que vaille avec quelques compagnons d'infortune. C'est son seul réconfort, outre l'idée qu'il a de s'évader. Encore ne peut-il évidemment être sûr d'eux. Un mouchard peut toujours rôder. Et même, "Arrête tes grattements, tu vas faire punir tout l'étage", lui dit au début son voisin, un vieil homme que finalement il gagnera à son projet. Car très vite, étrangement, on a l'impression que beaucoup des autres détenus (qu'il côtoie au moment de la toilette ou quand ils vont tous en file vider leurs seaux hygiéniques) sont au courant de ce à quoi il travaille.
À quoi se résume la mise en scène ? À reproduire sur pellicule la vision la plus proche de l'histoire que Bresson a dans sa tête. Ainsi, à l'exception des deux scènes de début et fin de film qui se passent en dehors de ce fort-prison de Montluc à la périphérie de Lyon, on a une succession de saynètes toutes simples du quotidien de Fontaine en train de travailler méticuleusement, méthodiquement à la préparation de son évasion, scènes qui, toutes, bien qu'elles se déroulent dans sa minuscule cellule, montrent une prise de risque constante de la part du prisonnier. Il sait que sa seule chance de survie, c'est de s'évader. Presque tous les autres pensent que l'évasion est impossible, mais lui ne renonce pas. Il n'agit pas en désespéré, il agit en menuisier, en artisan, en artiste. Il réussit des miracles, descellant les planches de la porte de sa cellule au moyen de cuillères en fer aiguisées en couteaux, fabriquant ingénieusement des mètres et des mètres de corde capables de supporter le poids d'un homme et même de solides crochets, alors qu'il n'y a quasiment rien dans sa cellule. Tout ça nous est montré par une caméra si proche du prisonnier que parfois elle se confond avec son regard et nous communique toujours, par ses cadrages étroits, un vrai sentiment d'enfermement. Je me suis demandé pendant tout le film, presqu'à chaque scène, où était positionnée la caméra.
Cette évasion paraît si incroyable, si difficile à réaliser que je ne pouvais pas m'empêcher de questionner la réalité de faits pourtant a priori avérés (il y a certainement eu des dizaines de témoins de cette évasion qu'on peut qualifier d'historique, la rumeur a dû en circuler dans toute la prison). Une chose qui vraiment m'étonne c'est que pas un mouchard ne l'ait trahi, alors qu'une visite de sa cellule aurait, dans les derniers jours de préparatifs, forcément révélé les peu discrets cordages qu'il avait mis des semaines à façonner.
L'évasion proprement-dite est évidemment le temps fort du film. On vibre, l'émotion vous serre la gorge. Et là, pardon, je saute de l'analyse au ressenti. Entre minuit et trois-quatre heures du matin, les deux postulants à la liberté (le lieutenant Fontaine et Jost, le garçon de 16 ans mis à l'improviste dans sa cellule deux ou trois jours après qu'on a signifié à Fontaine qu'il allait être fusillé incessamment) sont toujours dans l'enceinte du fort-prison, sur les toits, au sommet d'un mur ou d'un autre, attendant le moment propice. En bas, une sentinelle armée fait les cent pas. Comment, car c'est sa vie contre la leur, le lieutenant s'en débarrasse-t-il à mains nues ? Le film suggère qu'il l'étrangle sans bruit ; ça se passe derrière un angle du premier mur à franchir. En tout cas, Jost peut alors descendre à son tour. Il reste encore deux murs d'enceinte encadrant un chemin de ronde que parcourt une autre sentinelle à bicyclette. Une corde est jetée et tendue entre les deux murs. Que le crochet dont elle est munie résiste au poids du corps même amaigri d'un prisonnier, et que l'Allemand à bicyclette ne remarque pas l'épaisse corde tendue entre les deux murs paraissent là aussi miraculeux, mais la vérité des faits est parfois incroyable.
On ne nous montre que la traversée crapahutante de Fontaine suspendu à la corde, pas celle de Jost. Que les deux prisonniers traversent ce périlleux obstacle, sans que l'homme à bicyclette ne les repère, semble un vrai exploit. Ils se laissent glisser le long du dernier mur. Cette fois, c'est la bonne : ils sont libres. Fontaine serre Jost dans ses bras qui chuchote : "Si ma mère me voyait !". Et tandis que le halètement d'un train déchire le silence et que la fumée de la locomotive envahit l'écran, les deux fugitifs se fondent dans la nuit et les bois environnants. Oui, enfin libres !
Et nous, on s'est échappés avec eux.
Sur l'écran devenu noir, retentit à nouveau le "Kyrie" (Seigneur, aie pitié) de la Grande messe en ut mineur de Mozart (qu'on avait déjà entendu au début du film), mais cette fois, dans ses derniers accords.