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le 29 juin 2018
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Je viens de voir un couteau dans le coeur de Yann Gonzalez, évidemment je ne pouvais qu'aimer ce genre de film qui semble conçu exprès pour moi, c'est même le genre de récit délirant et homoérotique que j'écrivais lycéen (un tueur assassine l'un après l'autre les acteurs éphèbes d'une production porno gay des années 80 avec un gode poignard), même s'il y a des gros défauts évidents. Je pense d'ailleurs que le public va majoritairement détester et c'est clairement moins maîtrisé que Les rencontres d'après minuit. Je me demande comment ça a atterri en compétition à Cannes, c'est plus un objet pour l'étrange festival. Concernant les faiblesses je trouve qu'il y a notamment un énorme problème de rythme et d'écriture au milieu du film quand Anne Vanessa Paradis commence à mener son enquête alors que les premières 30/40 minutes étaient géniales. Le premier meurtre est sublime, digne de la chasse de Friedkin. Une idée géniale contribue à la réussite du film : c'est de faire réécrire par l'équipe ce qu'ils sont en train de vivre (une série de meurtres qui les touche de prêt) de manière décalée dans un film parodique pornographique de leur cru : Le tueur homo. Toutes ses scènes sont jubilatoires notamment grâce à la présence de Nicolas Maury complètement déchaîné. On pourrait croire dans un premier temps qu'Anne Parèse agit ainsi par opportunisme mais il s'agit avant tout de faire la nique à la mort, de continuer à vivre, d'exorciser ses démons et surtout de retenir l'amour de sa vie, sa monteuse Lois, en lui donnant du travail. Autre idée géniale et poétique : les messages envoyés à la femme de sa vie, via la pellicule grattée. Kate Moran est d'ailleurs sublime en Lois, cette femme sculpturale avec son accent envoûtant a un charisme dingue, c'est bien elle la muse du cinéaste pas Vanessa Paradis (dont la performance ne me convainct pas entièrement même si elle a de beaux moments), elle était déjà au casting des rencontres d'après minuit. Les personnages secondaires sont assez savoureux, beaucoup de gueules, de caméos du cinéma de genre français ou du cinéma déviant en général. D'ailleurs Asketoner sur allociné parlait il y a peu de Simone Barbès et la vertu et moi même en réponse de La chatte à deux têtes et bien les deux acteurs principaux de ses films Ingrid Bourgoin et Jacques Nolot se trouvent dans Un couteau dans le coeur (pour la première c'est davantage un caméo en barmaid lesbienne). L'hommage à Simone Barbès via son actrice est voulu, Gonzalez en parle dans le dossier de presse. Nicolas Maury est toujours aussi hilarant et débridé et même certains personnages très secondaires sont particulièrement touchant voire poétique. J'ai notamment adoré le personnage de La bouche sorte d'amas de graisse disgracieux mais profondément humain et touchant qui semble n'exister que pour son organe et qui est celui qui est chargé de sucer les acteurs en panne pour leur faire venir une érection (dans le cinéma porno gay américain on appelle ça un fluffer, cette fonction n'existe pas à ma connaissance dans le cinéma porno français): l'humanité qui se dégage de ce personnage secondaire est dingue, il n'a pas besoin de fric (il vit chez sa mère) mais fait ça par plaisir, presque par dévouement, et semble aimer profondément tous ces éphèbes qu'il suce et qui se laissent faire et retrouvent de l'ardeur au contact de sa bouche énorme. Malgré sa laideur, il semble donc bien plus efficace que les magnifiques partenaires de ces jeunes minets sucés (Archibald lira d'ailleurs en son honneur un très beau poème sur la bouche de Garcia Lorca). Il faut aussi reconnaître la beauté plastique et le magnétisme des acteurs interprêtant les jeunes minets acteurs pornos, principalement Fouad et Carl la première victime. Enfin l'esthétique du film ne pouvait que me convaincre mêlant ambiance giallo baroque de Dario Argento mâtiné de De palma (le tueur masqué et brulé c'est phantom of the paradise bien sûr) auxquels on additionne La chasse de Friedkin pour les meurtres et l'esthétique porno vintage gay français des années 70, 80 de mon cinéaste porno préféré Jean Daniel Cadinot dont on retrouve l'imagerie avec tous ces magnifiques minets (dont beaucoup d'arabes comme dans ses films souvent tournées avec des Maghrébins), un semblant de scénario désuet mais qui a du charme (je parle pour les films dans le film)(On trouve d'ailleurs des photos de Cadinot, excellent photographe dans la chambre d'Archibald). Bref un mix entre Suspiria, Simone Barbès, Phantom of the paradise, La chasse et Aime comme Minet.
L'écriture du film et son rythme sont très proches des Frissons de l'angoisse d'Argento qui ressort et que j'ai vu au ciné juste après : 3 meurtres puis rythme beaucoup plus lent ou le héros/l'héroïne mène l'enquête sur le passé du tueur à partir d'un détail (plume d'un oiseau rare pour l'un, un dessin pour l'autre) puis -SPOILER la presque petite amie se fait poignarder (l'une meurt l'autre pas) et enfin affrontement avec le tueur. L'enquête autour de la plume d'oiseau rappelle d'ailleurs la trilogie animalière d'Argento (comment ne pas penser à L'oiseau au plumage de cristal).
Le rapprochement avec Ultra pulpe de Mandico sorti en même temps est également frappant, les deux œuvres semblent même complémentaires, des jumeaux. Deux cinéastes lesbiennes de films déviants(enfin Anne est plus productrice que metteur en scène mais elle semble avoir le contrôle artistique sur les films et dirige dès qu'Archibald joue un rôle et choisit les acteurs) sont en train de perdre leur petite amie qui bossent pour elles (l'une comme actrice l'autre comme monteuse) et veulent la retenir par le cinéma. Et Mandico le metteur en scène d'Ultra pulpe joue le cameraman d'Anne dans Un couteau dans le coeur tandis que Elina Lowensohm qui interprête l'héroïne fait également une apparition.
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le 28 juin 2018
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