Jacques Villeret est un de mes acteurs préférés et Un crime au paradis est probablement le film avec lui que j’ai le plus vu. On retrouve une partie des répliques de La poison de Sacha Guitry. Pourtant en 2001 lorsque je suis allé le voir au cinéma, j'y allais un peu sceptique, malgré le casting alléchant.
Villeret tient le rôle du fermier Joseph « Jojo » Bracconier qui vit une union sans amour avec sa femme Lucienne « Lulu » jouée par Josiane Balasko. Dès les premiers instants on touche au ton du film : Humour noir, cynisme, vacheries, tout y passe. Le couple ne peut pas se supporter mais ne divorce pas, à la place, ils se font les pires crasses. Balasko est épatante dans ce rôle qui semble avoir été fait pour elle. Elle incarne parfaitement la mégère cruelle, ivrogne, fainéante, sans pour autant être méchante gratuitement, elle a ses moments d’humanité ce qui évite qu’on tombe trop dans le cliché.
Peut-être parfois dans le film frise t-on le caricatural, peut-être même qu’on l’atteint un chouïa à l’occasion, comme lorsque Jojo apprend les petits secrets de sa femme quand elle parle dans son sommeil, ou des petits détails comme un crieur de journaux à béret, même en 1980 ça me paraît assez douteux. Ces faiblesses ne sont que légères et ne deviennent pas irritantes au point de gâcher le plaisir. Bien d’autres qualités font plus que compenser, notamment Suzanne Flon qui joue la maîtresse d’école, Madame Blondot, qui apporte son expérience au film et une sorte de force tranquille, elle est touchante de simplicité.
Dans la première partie, le film a beau montrer beaucoup de moments de vie quotidienne, il n’est pas ennuyeux ! Oui, d'ordinaire les films français où les personnages vivent leur vie quotidienne monotone c'est très vite long et gonflant. Pas ici. Stupéfiant. En tout cas, le couple en vient mutuellement à vouloir se tuer. Pourtant, Jojo est le portrait type du brave gars, un peu simplet, mais qui n’en peut plus. Au point qu’on lui pardonne tout, tout est fait pour qu’on ait envie de lui dire « vas-y, tue-la, on ne t’en voudra pas » même quand il échafaude un plan assez élaboré. Plus que celui de sa femme en tout cas. Il va trouver un avocat de renom, joué par André Dussolier dans une longue et formidable séquence, au cours de laquelle les excellentes répliques s’entassent.
Ce film sait habilement mélanger humour et drame, car de ce côté-là, il y a certains moments assez poignants comme le soir du drame entre Lulu et Jojo, ou certains moments du procès. Il ne faut pas forcément grand-chose. Le simple moment où l’avocat général réclame la peine capitale pour Jojo, le bref plan de la réaction de Mme Blondot est très touchant. L’ensemble du procès pourtant ne manque pas de passages croustillants voire féroces : Les maladresses de Jojo, le déballage de linge sale, les leçons de français de Mme Blondot envers l’avocat général, le juge qui se passionne pour les hobbies de Jojo, les joutes entre avocats des deux parties… Ces deux derniers sont très bons dans leur cabotinage et leur jeu flagrant pour essayer d’influencer le jury ou décrédibiliser un témoignage qui ne va pas en leur faveur.
La fin est simple, assez mélancolique sans tomber dans le larmoyant, d’ailleurs quelques sourires viennent la ponctuer. Quant à la musique, elle sait se faire discrète, elle est d’ailleurs utilisée avec une parcimonie bienvenue. Elle est notamment totalement absente de la longue scène où Jojo est dans le bureau de son avocat, ou encore lors du procès. En conclusion, un casting solide et particulièrement bien choisi, des dialogues acides, de l’humour corrosif, des passages dramatiques sans lourdeur ou pathos… ce film tient ses promesses et ses quelques faiblesses sont vite oubliées.