Un été comme ça, de Denis Côté, nous fait partager le quotidien de trois jeunes femmes, Léonie, Geisha et Eugénie, invitées dans une maison de repos pour explorer leurs troubles sexuels et faire face à leurs démons intimes. Comme l’on diagnostique un rhume ou un cancer, la société les a étiquetées comme anormales, et fait suivre par des médecins. Pourtant la première affirmation du film est extrêmement claire. 

“Vous n'êtes pas ici pour vous faire soigner, vous n'êtes pas malades.” 

Ou si peut être, mais pas plus que d’autres. Comme un médecin, le film étudie pourtant les corps. Ils apparaissent, se meuvent, sont minutieusement observés, mais ne sont jamais pris pour eux-mêmes, sont toujours habités. C’est une symphonie des corps incarnant celle des esprits; tourmentés et dénudés, certes, mais sans jamais ne serait-ce qu'effleurer l’obscénité. À l’écran, la valse des membres à la dérive se heurte à l’importance de la parole. Les personnages parlent. Ils se confessent, racontent, décrivent. Les horreurs relatées s’opposent aux non-dits, mais, par le pouvoir d’une sorte d’équilibre émotionnel, occupent la même place, ont la même importance. Les mots, omniprésents, ne veulent rien dire. Les images et les visages les complètent, les traduisent et leur donnent un sens. 

Denis Côté, et c’est sa force, expérimente ce que nous pourrions appeler une anti-dramatisation. La douceur homogénéise les rires, les pleurs et les cris. Le filtre de sa caméra explore les tabous, leurs interdit une surexistence qui paraissait pourtant les définir. La caméra n’est pas voyeuse, elle se pose comme observatrice. La sexualité s’impose, c’est le sujet du film. L’on parle du sexe, on le décrit, on exprime ses besoins. Les scènes de repas font place à celles de masturbation. Il ne s’agit pas de cacher, mais de changer le regard porté. La caméra met à distance. Les premières minutes du film sont marquées par les gros plans, au plus près des bouches et des visages. Le cadre enferme, nous montre le corps, comme un microscope. Mais ce regard, cette vision presque intrusive évolue. Les plans deviennent de plus en plus larges et les scènes, auparavant concentrées à l'intérieur de la maison, se tournent vers un périmètre extérieur s’élargissant de plus en plus. Le point de vue du nous-observateur évolue alors en même temps que la vision de la caméra, prenant de la distance.  

Et c’est, peut-être, justement l'évolution de ce point de vue spectatoriel, qui devient l’un des enjeux du film. À l’époque du retour en salles, au cinéma, il s’agit de recommencer à accepter l’impuissance, le regard non agissant. Tous les personnages se retrouvent alors à incarner l’état de spectateur. Ils observent les trois jeunes femmes, les écoutent. La scène la plus marquante serait alors celle du discours d’Eugénie, devant le camionneur. Encore une fois, ce sont les images qui parlent en complétant les mots. Comme nous, il ne peut que la regarder crier, se débattre, il ne peut qu'écouter. Dans la salle, il est impossible d’exercer un quelconque pouvoir sur l'œuvre à l’écran, et c’est peut-être cette identification inévitable qui nous marque. Au crépuscule des 26 jours, la situation n’a pas changé, les personnages vont retourner à leurs vies et se séparer. Mais, comme après le passage d’une vague, tout n’est plus exactement comme avant. L’évolution est inconsciente mais elle est bien là, le regard porté sur l'autre et sur soi-même s’est modifié. Et c’est le pouvoir de l'œuvre de Denis Côté: redonner au spectateur son regard cinématographique, non agissant, pour s’ouvrir à nouveau au cinéma. 

Julie Chayé

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le 23 mars 2023

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