Il nous vient du Québec des films d’une belle intensité. Après « La Déesse des mouches à feu » (2021), d’Anaïs Barbeau-Lavalette, comète bouleversante dans laquelle la nature tient également une bonne part et qui explore le « déraisonnable », mais de façon plus folle et extrême encore, voici « Un Eté comme ça » (2022), nouvelle réalisation de Denis Côté, qui compte déjà une filmographie abondante.
Selon un protocole dont les arcanes ne sont pas vraiment précisés, se trouvent rassemblées dans une maison de repos, loin de toute société, trois jeunes femmes, visiblement enjointes de se livrer pendant un petit mois à une exploration de leur sexualité et des troubles comportementaux qui lui sont attachés : Eugénie (Laure Giappiconi), qui fait exploser son énergie tantôt en dessins au fusain tantôt en masturbations effrénées ; Geisha (Aude Mathieu), punk au crâne rasé qui se perruquait pour se prostituer et soumet l’un des deux encadrants, le placide et bienveillant Sami (Samir Guesmi), à une scène de séduction digne des plus belles Tentations de Saint-Antoine ; enfin Léonie (Larissa Corriveau), aussi belle que tourmentée, à la sensibilité exacerbée et imprévisible, essayant de dépasser comme elle le peut des traumatismes d’enfance.
Sous le regard attentif et empathique d’Octavia (Anne Ratte-Polle), la responsable remplaçante, elle-même exposée, dans sa vie privée, à des problèmes de couple, la caméra de François Messier-Rheault accompagne le déroulement des jours et des nuits, entre virées dans la campagne environnante et soirées à l’intérieur de la vaste maison, en solitaire ou en duo, pour des plongées en parole dans ce qui a été vécu et traversé.
Le réalisateur, ici également scénariste, conseillé par Rachel Graton, prend le temps de dérouler son scénario et de cerner la personnalité de chacun des protagonistes, si bien que le temps s’envole avec légèreté dans cette réalisation d’environ deux heures et quart. Cette durée est même sans doute nécessaire pour que s’inverse la problématique : ouverte sur l’enjeu de troubles sexuels à résorber, l’intrigue en vient peu à peu à montrer, chez ses protagonistes - « malades » supposées et soignante comprises -, une sexualité en éveil et certes développée, mais qui ne transparaît pas de manière évidente comme un obstacle à une existence heureuse. À tel point que le spectateur, s’il se laisse porter par le mouvement du scénario, est plutôt conduit à tourner son questionnement vers le regard qui a diagnostiqué ces existences comme déviantes… La finesse du propos consiste à ne pas imposer de réponse, mais à faire entrer le spectateur dans l’interrogation formulée à un moment par l’une des héroïnes : « C’est quoi, pour toi, être normale ? ».
« Un Été comme ça » a le grand mérite de nous confronter à cette question essentielle, voire de plus en plus urgente, à l’heure où les comportements se voient tellement normés et constamment évalués.