La construction d’une œuvre et sa réception par celui qui la contemple est du ressort de l’alchimie : il existe bien une formule, reste à savoir si le mélange et ses effets vont être opérants. C’est particulièrement vrai pour l’ultime film de Melville. Comment expliquer que cet opus, qui semble en tous points fidèle à l’œuvre qui précède, soit à ce point inefficace ?
Tout d’abord, peut-être parce qu’on ressent particulièrement le désir de nous resservir une recette qui a fait ses preuves. Mêmes thèmes, mêmes motifs, avec ceci de dérangeant qu’on fait dans la surenchère. Pour le casse, cette fois, un hélicoptère accostera un train. Hormis le fait que les effets soient assez mauvais (bonjour les maquettes et les fonds peints dans d’autres séquences) c’est surtout l’exagération de la maitrise passée qui dérange. Beaucoup trop longue, cette séquence semble au mieux un pastiche raté, au pire une auto caricature. Le temps réel dans les toilettes du train est à ce titre symptomatique : ce plan séquence est vain, il s’étire sans apporter quoi que ce soit, si ce n’est l’affirmation démesurée d’un « Melville est aux commandes, ne l’oubliez pas ».
Les personnages fantomatiques ne fonctionnent pas, Deneuve en tête, et les recherches visuelles (miroirs au plafond, plan séquences dans des voitures) ont tout d’une tentative vaine d’ajouter du plastique là où le fond pèche. Même la musique, un jazz de seconde zone, est médiocre.
Ajoutons à cela un message finalement assez trouble quant aux motivations psychologiques de Delon, super flic qui gifle et moralise les travelos, torture pour obtenir des noms, laisse se suicider les suspects ou les flingue sans sommation. S’il s’agissait de montrer la solitude de l’homme de loi et son écart de la vie quotidienne (ce à quoi semble faire allusion l’idylle avortée avec Deneuve), c’est aussi grossier que rance.
On aurait aimé pouvoir considérer Un flic comme un raté dans l’œuvre de Melville, qu’on se serait empressé d’oublier. Le fait que ce film soit le dernier de sa carrière est d’autant plus regrettable.

http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Melville/474459
Sergent_Pepper
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Policier, Gangster, Thriller, Cycle Melville et Les meilleurs films de Jean-Pierre Melville

Créée

le 30 mai 2014

Critique lue 2.4K fois

46 j'aime

14 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

46
14

D'autres avis sur Un flic

Un flic
Sergent_Pepper
5

Le gang des pastiches

La construction d’une œuvre et sa réception par celui qui la contemple est du ressort de l’alchimie : il existe bien une formule, reste à savoir si le mélange et ses effets vont être opérants. C’est...

le 30 mai 2014

46 j'aime

14

Un flic
Ugly
7

Chant du cygne d'un grand cinéaste

Dernier film de Jean-Pierre Melville, le plus américain des réalisateurs français, il est souvent méconnu, mésestimé ou mal compris. Certes, ce film n'a pas la force et la perfection des grands...

Par

le 29 juil. 2018

32 j'aime

13

Un flic
Chaiev
5

Train d'ennui pour Lisbonne

Ah si le film s'arrêtait dix minutes après le générique, on ne serait pas loin du chef-d'oeuvre : une ville fantôme, tout en béton, près de la mer déchainée, la pluie, le brouillard, une petite...

le 21 nov. 2010

32 j'aime

9

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53