Derrière l’apparent désordre structurel du dernier long métrage de Tom Tykwer, Un Hologramme pour le roi, se cache en réalité une errance intérieure projetée dans la mondialisation, une solitude profonde qui fait d’Alan Clay, de mari divorcé et père absent, un exilé contraint de parcourir des espaces tantôt désertiques tantôt à la pointe de la technologie, sans comprendre ce qu’il s’y passe. Le personnage principal se définit lui-même comme un coupable soucieux de purger sa peine dans ce pénitencier à ciel ouvert et au sable fin, ce sable qu’il faut balayer des routes goudronnées avant la visite officielle du roi ; son périple prend alors l’aspect d’une mise à l’épreuve, le kyste sébacé venu se loger dans le haut de son dos jouant le rôle d’une mortification. Il est un corps souffrant, attestant des pertes d’énergie dommageables et un mal du pays qui se soigne à mesure qu’il quitte sa passivité pour prendre les choses en mains, à mesure qu’il délaisse la virtualité de ses relations pour les concrétiser.
Alan Clay vend des hologrammes, des illusions de présence qui semblent définir sa propre existence : le père déverse sa haine du monde par téléphone, l’épouse veut de l’argent, la fille louvoie entre deux figures parentales qui ne savent comment la conseiller, qui ne peuvent donner l’exemple. Alan est perdu, sujet à des crises d’angoisse que le film adopte en dynamique interne, si bien que le rythme s’accélère brutalement – les transitions sont volontairement gommées, renvoyant au spectateur une impression de saccade déroutante – pour se ralentir de la même façon, puis reprendre de plus belle (la fausse crise cardiaque) : il faut attendre le roi qui ne vient pas, franchir le hall d’entrée, aller voir la secrétaire qui ne sait pas, s’excuse, congédie ; on attend, il fait chaud et on a faim ; retirer le kyste est urgent, opération demain. Le rythme en dents de scie figure le potentiel hallucinatoire de la terre arabe pour un esprit occidental. Se dépêcher, toujours courir, faire au plus vite… D’aucune utilité, et les derniers mots de Tom Hanks vont dans ce sens : « il faut avoir le temps ». Son personnage sert au réalisateur de regard extérieur, américain en l’occurrence, porté sur une culture qui fascine autant qu’elle rebute : l’Arabie Saoudite apparaît telle une terre de contrastes, présente un visage bigarré, composé de complexes luxueux et d’abris de fortune dans lesquels survivent les ouvriers qui les conçoivent – au même étage de l’immeuble, le cinquième –, une culture qui sacralise la réputation et les lieux de prière.
Campé par un Tom Hanks impérial, Un Hologramme pour le roi est une œuvre riche et intrigante qui poursuit une trajectoire imprévisible faite de mirages – la séquence de chasse aux loups en pleine nuit, l’excursion de tourisme pour aller voir les dromadaires et les photographier – et qui propose un véritable acte de foi en la mondialisation non comme pratiques industrielles et commerciales mais comme vecteur d’une rencontre sinon impossible entre deux cœurs qui battent à l’unisson l’un de l’autre, issus de deux cultures différentes que le film rassemble avec sensibilité et poésie.