C'est peu dire que je n'attendais pas Kazan sur le terrain de la critique des médias et de la société du spectacle, avec toutes les thématiques afférentes, que l'on a instinctivement envie de ranger non loin du jalon de Lumet Network (1976), en filiation avec l'excellent film de Wilder Le Gouffre aux chimères (1951) — et pour compléter la liste, Quizz show de Robert Redford. C'est un peu l'autre face, négative cette fois-ci, de la pièce formée avec les films de Capra beaucoup plus ancrés dans une perspective d'humanisme naïf comme Mr. Deeds Goes to Town (1936), Mr. Smith Goes to Washington (1939), ou encore Meet John Doe (1941) qui mettaient en scène un candide face au rouleau-compresseur du système. Mais ici, le reversement des valeurs est total en comparaison, puisqu'on s'intéresse à une vision extrêmement cynique du capitalisme médiatique, toujours à une époque ou cette critique même satirique n'était pas du tout aussi profusément formulée qu'aujourd'hui.
C'est le tout premier film de Andy Griffith, et on a bien du mal à le croire tant le personnage brille par sa gouaille, son assurance, sa grande gueule. Il parvient à se créer une identité particulièrement forte, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du film d'ailleurs. Son charisme l'attire sans doute un peu, mais je suis un peu déçu du traitement très caricatural réservé aux thèmes abordés ici, en regard de l'incroyable modernité du discours. La dénonciation est excellente pendant une grosse partie du film, et dans le dernier gros morceau Kazan et ses scénaristes se sont sans doute senti pousser des ailes pour s'autoriser un tel déluge d'excès... Au point de faire dérailler le film de la bienséance psychologique, en rupture de continuité assez franche avec ce qui précédait. Clairement, il me manque des bouts de film pour comprendre comment ce gars qui se foutait de la gueule des actionnaires et de leurs pubs débiles devient un tel objet volontaire prêt à vendre son âme tout en se foutant aussi ouvertement des gens à qui il s'adresse — ce qui causera sa perte. La trajectoire est séduisante, mais elle n'est reste pas moins incohérente — ou du moins invraisemblable.
Dommage car la façon dont le personnage se trouve courtisé par les médias et les politiques est à certains moments jouissives, de par l'inconfort créé par sa dimension insaisissable de bête sauvage. Il faut vraiment voir ses monologues enragés : "This whole country's just like my flock of sheep! Rednecks, crackers, hillbillies, hausfraus, shut-ins, pea-pickers - everybody that's got to jump when somebody else blows the whistle. They don't know it yet, but they're all gonna be 'Fighters for Fuller'. They're mine! I own 'em! They think like I do. Only they're even more stupid than I am, so I gotta think for 'em. Marcia, you just wait and see. I'm gonna be the power behind the president - and you'll be the power behind me!". Procès à charge de la démagogie donc, autant que de la publicité, empesé par sa lourdeur démonstrative. Mais bon, difficile de ne pas être agréablement étonné par le niveau de violence du pamphlet outrancier. Et puis il y a un Walter Matthau assez jeune qui traîne par-là... Non vraiment, le film aurait gagné à travailler sa transition, son retournement d'opinion, et sa ridiculisation des figures d'autorité.
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