La compétition un certain regard à Cannes, c’est un peu comme arriver 4ème aux jeux olympiques, ça veut dire que tu es le 4ème meilleur sur sept milliards de personnes dans ta discipline mais tu restes un illustre inconnu. Passé la compétition officielle et la quinzaine des réalisateurs avec quelques films par-ci par-là dans la semaine de la critique et les séances spéciales, le festivalier Cannois a vite fait d’arriver à une nombre de séances quotidienne supérieure à ses heures de sommeil, pas vraiment motivé pour aller affronter un certain regard dans les entrailles du grand palais pour avoir la confirmation que sa réputation de collectionneur de lentes productions de pays que tu ne sais pas toujours placer sur la carte n’est pas usurpée . On grossit le trait, mais il y a de ça.
Cette année par contre, je ne sais pas si c’était pour faire plaisir à sa présidente Pulp Uma Thurman ou si le sélectionneur s’est gouré dans ses fiches mais entre le biopic pop Barbara d’Almaric, le thriller psychologique familial les filles d’Avril de Michel Franco, la délirante romance extraterrestre Avant que nous disparaissions de Kiyoshi Kurosawa, le polar Wind River de Taylor Sheridan et la comédie douce-amère Jeune Femme de Léonor Serraille, la compétition n’avait rien à envier en qualité à l’officielle ni en diversité à la quinzaine. Et si à la rédaction, chacun avait son favori (le Franco pour ma part, coup de cœur de Willard pour Jeune Femme et Callahan a adoré Wind River), on ne va pas contester le choix du gagnant : Un homme intègre, réalisé et scénarisé par l’Iranien Mohammad Rasoulof qui risque désormais six ans de prison pour son film.
Reza (incarné avec une intensité rare par Reza Akhlaghirad) est un éleveur de poissons rouges non musulman vivant dans un coin reculé du pays avec sa femme institutrice (Soudabeh Beizaee, excellente aussi) et leur gosse, une compagnie privée veut son terrain et il a le choix entre le bakchich ou la vente forcée. S’engage alors une lutte d’un pot de terre borné contre une armée de pots de fer détenant une autorité aussi bien politique que religieuse. Dans ce monde poussiéreux où le système D et les combines plus ou moins douteuses prévalent, c’est tout un portrait d’un pays gangréné par la corruption qui nous est présenté après macération dans une bonne dose de vitriol.
Le principal défaut du projet est qu’il y a comme un air de déjà vu, de Léviathan à Aquarius, le thème de l’expropriation pour montrer la corruption d’un système a déjà été traité, de même que l’escalade cauchemardesque dans la compromission rappelle Baccalauréat. Pour autant, et c’est d’autant plus tangible quand on voit les pressions exercées sur son réalisateur qui ne sont pas loin de dépasser sa fiction et les soutiens internationaux qu’il reçoit, Un homme intègre ne se borne pas à coller des ennuis sur le dos de son personnage. Au contraire Reza va lutter, réagir, combattre cette situation. Son rôle dans l’histoire n’est pas conscrit à un moment de gloire expédié dans les 5 dernières minutes mais il va prendre des initiatives tout au long du récit qui verra sa réserve moraliste du début s’adapter radicalement. La lutte contre la société est aussi une lutte interne, entre ses valeurs et les agissements auxquels il est contraint, le titre « un homme intègre » se teinte alors d’une ironie mordante : jusqu’où un système pourri pousse-t-il quelqu’un de bien à changer ?
Ainsi ses actions, tout comme celle de sa femme, ont des conséquences, parfois catastrophiques, que l’on verra surgir à mesure que le spectateur et les protagonistes découvrent l’ampleur qu’elles prennent. Cet aspect thriller en fait un récit particulièrement bien troussé dépassant la simple charge politique, on est tout simplement tenu par le suspense qui s’installe au-dessus de l’ambivalence de son récit.
Tout en partant d’une trame pas forcément originale, Un homme intègre développe un propos fort à travers un duo de personnage pour lesquels on ressent une grande empathie. Si l’on peut lui reprocher de petits écarts liés au développement de ses héros parfois longuets, même si les scènes presque onirique dans la source d’eau chaude sont notables, le film fait l’effet d’une locomotive se mettant en marche, d’abord doucement puis avec une ampleur qui ira crescendo vers un message au vitriol sur l’Iran. Pas étonnant qu’il y soit d’ailleurs interdit de diffusion.
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