Etonnant film sous la houlette des studios Disney souhaitant à l’époque se diriger vers des œuvres plus adultes, il est clair que le pari est réussi même si ce film n’a pas du toucher les plus jeunes tant il n’est pas un film d’aventures au sens où on l'entend pour le jeune public, que par sa lenteur d'exécution.
Le mythe du loup, invisible et pourtant bien présent, exacerbe notre imaginaire et notre attirance pour cet animal qui symbolise la liberté, et par la meute, l’instinct grégaire de l’homme. Alors que l'image véhiculée est souvent liée à la violence tel le Loup Garou qui révèle à l’homme, victime de sa métamorphose, ses origines bestiales. Et ce sont bien les origines bestiales de l'homme, qui clôtureront bien malheureusement l’œuvre de Carroll Ballard.
Pourtant avec une actualité où le loup réintroduit en France se retrouve dans un environnement plutôt hostile à son égard, on a du mal à retrouver ce profil effrayant qui marque nombre d'œuvres qui lui ont été consacrées.
Carroll Ballard nous invite au voyage en 1983 après deux années de mise en œuvre, passant du Yukon à la Colombie Britannique, pour un voyage qui encore aujourd’hui transporte par sa singularité et son vibrant hommage à l’environnement.
Adapté de l'ouvrage Never Cry Wolf de Farley Mowat, Un homme parmi les loups est inspiré d’un personnage réel, en route vers les contrées inhospitalières du Grand Nord, qui permettra de changer l'image populaire du Loup.
Ici, l'homme prendra conscience de sa place au monde et décidera de ne jamais rentrer. Tyler, tout fraichement arrivé et inexpérimenté pour ce genre de mission, doit à la demande de son gouvernement, déterminer et surtout valider que les loups sont « bien » responsables de la mort de troupeaux de caribous. Malgré un matériel inadapté, et une grande peur face à l'ampleur de la tâche et de son isolement, le biologiste n’aura de cesse de tenter l'approche, de les étudier et même de suivre leur régime alimentaire qui semble bien loin de ce qu’on leur impute.
Charles Martin Smith acteur souvent aux seconds rôles et ayant déjà un certain nombre de films à son actif a été bien inspiré et colle parfaitement à cet homme totalement inadapté à son environnement et le toujours excellent Brian Dennehy, marque de sa présence. Un tantinet loufoque, pour le soupçon d'humour, et pour le moins inquiétant dans sa gestion d’un vieux coucou grinçant, il abandonnera Tyler aussi sec en plein milieu d’un environnement inhospitalier et enneigé, à l’approche de la nuit et ne sachant trop quoi faire de ses dix doigts. Se cachant sous sa pirogue à l’arrivée d’une meute de chiens, attendant que ça se passe, son arrivée laisse présager d’une certaine difficulté à mener à bien sa mission.
Sauvé par Ootek, (Zachary Ittimanqnaq).il passera la nuit dans une cahute et y restera comme happé par une profonde déprime et pour le temps nécessaire à son cheminement tant physique que spirituel. Enfin prêt, ou presque, il décide de parcourir les lieux, jusqu'à trouver enfin matière à son étude, bien loin de son campement de fortune. Ce cheminement nous permet alors de le suivre au fil des saisons et d'un environnement tout aussi changeant que grandiose.
Sa rencontre salvatrice avec l'Inuit l'aidera à sa propre sauvegarde et agira comme une seconde conscience qui soutiendra Tyler dans sa nouvelle appréhension du monde sauvage, et de la nécessité de le sauvegarder. Mais avec l’arrivée de Mike (Samson Jorah), l’enfant adoptif de Ootek, revenant de la ville, ce sera la fin des traditions, plutôt par dépit, et confirme toute la difficulté de cette population poussée vers la civilisation, la consommation et le chômage, participant eux-mêmes aux dégâts de leur environnement.
Confronté à la solitude, aux doutes sur son travail et évidemment sur la légitimité de sa présence, nous participons à sa prise de conscience, au contact d’un couple de loups, voisins bien tolérants envers l’intrus. Mais Tyler par sa seule présence ouvrira ainsi la porte à l’arrivée d’une population étrangère apte à s'approprier les lieux et ses ressources pour le profit, ou les trophées.
Quelques dialogues en langue locale renforcent le réalisme, et les monologues de Tyler en voix off nous accompagnent tout du long et nous projette dans ses questionnements et avancées. La fiction prendra donc une direction documentaire par ses décors naturels, son portrait de la vie sauvage, et ses si beaux plans animaliers, aux loups et à leur port de tête majestueux, leur regard bienveillant et curieux, leurs jeux et leur insouciance face à une réalité qui se fait jour. Un grand bol d'air nostalgique, où seuls quelques Inuits nomades, insoumis au temps qui passe parcourent les grandes étendues, et une grande modernité des enjeux. Et même si parfois la photographie fait défaut, le métrage transporte par tout ce qu’il convoque du mythe, notamment par le personnage presque irréel de Ootek, apparaissant comme par magie pour disparaître aussitôt ou par l'intensité d'une longue débandade de caribous, saisissante, voyant Tyler, nu, courant au milieu du troupeau. Splendide métaphore d’un homme qui se débarrassant de ses vêtements, se débarrassera du poids et des méfaits de la civilisation.
Un film percutant.