Un homme qui dort par Messiaenique
Basé sur le texte éponyme de Georges Perec (La Vie mode d'emploi), et réalisé par un certain Bernard Queysanne (Le diable au cœur), ce film raconte l'histoire d'un étudiant à priori ordinaire, campé par Jacques Spiesser, qui se laisse sombrer dans une torpeur et une indifférence qui le mèneront au renoncement absolu du monde. Dépressive par excellence, cette adaptation sera récompensée par le Prix Jean-Vigo en 1974, pour « l'indépendance de son esprit et la qualité de sa réalisation. »
Il s'agit bien, avant tout, de la fusion d'un cinéma français avec une réflexion existentielle. La trame scénaristique suit la logique de cette méditation philosophique, qui tourne vite à la manie et se dirige peu à peu vers des modes de pensée extrêmes. Le spectateur se retrouve face à trois éléments : un narrateur et un personnage, avec la ville de Paris comme toile de fond.
Sur l'écran, le résultat est poétique et noir. Impressionnant dans la réalisation, car il propose un traitement réaliste de la vie étudiante dans une ville moderne. Terrible dans sa présentation de l'inexorable déclin du personnage principal, puisque ce dernier se mure dans un mutisme qui le condamne à l'isolement le plus profond. Images effacées, lecture du texte s'accélérant, tous les moyens sont bons pour dépeindre cette cicatrice intérieure.
L'homme qui dort, c'est cet étudiant qui se fait violence, qui s'inscrit dans une négation du monde aux antipodes du bouddhisme. Ici, se couper du monde et des interactions humaines, c'est prendre exemple sur les ruines pour ériger sa statue. Mais faire de soi son propre sujet peut vous projeter dans la réalité la plus amère. Déflexion, déambulation : ce qui commence comme une simple remise en question finit par avoir des conséquences irrévocables.
Le film restitue en images le rythme de la narration. La photographie est superbe et souligne la puissance du texte. On partage immédiatement ce fantasme de liberté, ce vertige de l'esprit qui enferme le protagoniste dans une spirale négative tissée d'ennui et de souffrance lancinante. Ce chemin angoissant, qui aboutit vers la haine de l'autre, trouvera-t-il son apogée dans l'acceptation ou dans le refus de la condition de l'homme moderne ?
D'abord fainéantise assumée, puis égotisme ampoulé, enfin gestaltisme à glacer le sang : comme quoi, on ne gagne pas forcément à sécher un examen de psycho. Même si l'on ne partage pas cette personnalité froide, distante, détachée du monde, on finit de toute façon par prendre graduellement congé de la société, tôt ou tard. Un film qui changera votre vision du repli sur soi.
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