La victoire ne t'importe plus.
Un homme qui dort est l'une de ses rares adaptations dirigée par l'auteur du livre lui-même. Livre dont le film prend sa source afin de se mettre sur pieds. Un homme qui dort est par ailleurs un bouquin du ô combien génial Georges Pérec (mais ça, il est inutile de le rappeler) et le film qui en résulte est à la hauteur des attentes que l'on peut en avoir.
Ici, point de mise en image d'une histoire qui n'en est pas vraiment une. Cet homme qui dort rappelle indéniablement La Jetée de Marker, ses films-photo (plus que romans-photo) et cette voix-off, d'un off d'ailleurs, d'outre-tombe qui semble dicter quelques vers éternels. Un homme qui dort se situe donc quelque part entre l'illustration et la lecture, la rencontre entre cinéma (rendre compte du mouvement d'une image, de la réalité capturée) et littérature (l'image des mots en quelques sortes). Deux voix qui se superposent pour former un triple recit (selon les termes du Queysanne) en accord avec la bande sonore.
Réalisé et tourné par cinq personnes, Un homme qui dort est une lecture allégée de chapitres, paragraphes qui raconte l'histoire d'un jeune étudiant parisien qui refuse un matin la routine que compose la vie, du moins sa vie. Dans son expression la plus neutre, le jeune homme arpente un Paris tantôt désert tantôt peuplé de fantômes avant d'en devenir l'ombre, lui aussi. Un labyrinthe, le dédale parisien, se dresse peu à peu, à mesure que les mots de Pérec, son récit, multiplie les répétitions et la redite (le propre du style péréquien). Le film de ce point de vue épouse en tout point l'intégrité de l'oeuvre et son caractère.
Quant à l'histoire, son semblant, elle nous tend à nous-même un miroir puissant et destabilisant. Une société bénie et beignée de monstres où la fuite, la mise en marge est rendue débile, inutile ("l'indifférence ne t'a pas rendu différent"). L'horizon ne laisse dessiner aucune forme émergeant de la brume: les temps sont abolis. Pas plus de futur que de présent et selon ce jeu de cartes étrange, tout parait vain. L'homme qui dort est un homme qui vit mais qui ne croit plus en la vie. Il est la somptueuse expression de l'absence de vie chez l'être qui nait pourtant en chacun de nous.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.