C’est le premier film de Ray Milland comme réalisateur, qui en fera une dizaine pendant les 12 ans qui suivent, et c'est le seul western.
Milland est un grand acteur depuis 25 ans (puis encore après cela pendant 30 ans) mais ici il joue très mal le cliché westernien du "tireur d’élite fatigué de fuir ». Il est de plus accusé de tueries qu’il n’a pas commises, dans une ville corrompue. Il est menacé de lynchage tout du long, et il tombe amoureux de la fille du shérif (lequel est malade de la fièvre jaune !).
Comme réalisateur, Milland dirige bien les autres acteurs : la belle actrice Mary Murphy, au visage très expressif ; Ward Bond en shérif complice de la corruption mais qui s'en repent à la fin, car il a été fustigé par sa fille pour cela ; Raymond Burr en tyranneau de province hypocrite ; et Lee Van Cleef en jeune tueur impitoyable - comme d’habitude.
Ce que fait le héros pour survivre est incohérent : menacé de mort, et alors qu'il ne cherche qu'à se cacher et à fuir mais non à riposter, il reste contre toute attente et toute raison dans deux huis clos risqués, celui de la ville, qu’il pourrait quitter, et celui de la maison de la jeune fille, où il est très exposé. Ce que font ses adversaires l’est tout autant.
Au début, la séquence de la découverte par le héros de voyageurs massacrés est forte : il n’y a là aucun mouvement sauf celui de la camera. Si tout a un côté figé, cela sert l’exposition et le propos glaçant. Par la suite, on aurait aimé plus de dynamisme, mais toutes les séquences restent statiques et cela nous semble alors trop fade. Pourtant, certaines scènes sont belles, comme des tableaux, dans une sorte de "clair obscur impressionniste" (on l'apprécie malgré un rendu moyen du Trucolor dans la copie vue à la télévision).
Sur le plan de l' action, c'est d'une platitude confondante et le gunfight final (le héros contre trois méchants) est ridicule, à peine joué, comme si des gamins imitaient avec timidité et gaucherie ce qu’ils voient au cinema.
On se demande alors pourquoi Ray Milland a voulu faire ce film.
On comprend bien qu’il a voulu dénoncer le lynchage, qui est ici un risque permanent, et qui parcourt toutes les péripéties.
Belle idée et après tout, le célèbre western anti lynchage de William Wellman (The Ox-Bow incident, L’Etrange Incident,1943) est lui aussi bien trop pédagogique, pourtant dieu sait qu’il est encensé par la critique.
Or, dans ce registre là, honorable donc, la fin rehausse tout l'ensemble, car il y a une originalité dans la démonstration.
Privée du lynchage de l’étranger, la foule se rabat vers le vieux shérif qui l’a laissé s’enfuir.
On saisit bien alors l’avidité violente de la meute qui a besoin d'un autre objet en substitution, même s’il est détaché de la cause initiale. La foule peut vraiment tuer "pour rien", et c’est probablement le sujet de Ray Milland.
C'est un bon sujet, qui n'est pas facile à étayer au cinéma, lequel rationalise souvent le lynchage en mettant en cause une haine motivée par l'intérêt et l'argent, le racisme, la jalousie, ou la frustration sexuelle et qui a du mal à exposer comment ces "motivations", certes pertinentes, drainent ou fécondent un mouvement collectif irrationnel qui gagne de proche en proche.
Alors, cela sauve quelques séquences.
Par exemple, la progression du dessin du portrait robot de l’homme traqué - il est recherché par tous pour être pendu - est très juste : il lui est conféré une laideur repoussante par ceux qui se succèdent pour le décrire mais elle est imaginaire. L'ironie caustique envers les lyncheurs et leur « bouc émissaire » est ici bienvenue, simple et drôle.
Puis un dialogue sur l'éthique entre la fille et son pere est très fort, retournant le vieux shérif.
Enfin, la derniere réplique est atypique dans un happy end plutôt convenu. Au vieux shérif qui dit (de mémoire) à sa fille et à son héros : « Quittez cette ville, elle est trop pourrie », Milland répond : "Nous restons. Elle l’est tellement que nous n'aurons pas de mal à la rendre meilleure» !
(Notule de 2018 publiée en mars 2025)