À 42 ans, Sébastien Nicolas branche tous les appareils à gaz de la maison, s'installe dans la cuisine, dépose sa tête dans le four, et, briquet et déflagration aidant, se suicide. Jusqu'à cet âge-là, Sébastien Nicolas, deux prénoms mais aucun qui ne le satisfasse vraiment, n'existe que dans la vie des autres : agent immobilier, il croise et recroise certains clients, et, moyennant un minutieux examen de ces personnages, s'applique ensuite à se recréer à leur image... Notre serial-copieur, qui ne semble s'amuser que déguisé en l'une de ses proies, évite tout contact avec la famille, les amis, les connaissances de celles-ci. Son objectif n'étant ni de devenir l'autre personne, ni de lui voler quoi que ce soit, il ne fait, en vérité, qu'emprunter une identité, pendant quelques temps, afin de vivre "à couvert" quelque chose d'un peu spécial... Presque sans encombres, la manie persiste jusqu'à ce que Nicolas rencontre un homme, qui, lui aussi, n'est que l'ombre de lui-même. Se prenant au jeu et le jeu s'en prenant à lui, l'agent immobilier est embarqué par une identité qui, si elle ne le concerne techniquement pas, va l'amener à emprunter, pour une période plus longue que d'habitude, la vie d'un autre. Pour la première fois, Sébastien Nicolas donnera même un peu de lui-même...

Dans un monde aseptisé (vies nulles, décors ultra-urbains, rapports faux) où chacun tente de trouver une place, si banale soit-elle, nous suivons un bout de la vie d'un drôle d'autiste qui pourrait, sans problème, continuer de ne pas en faire partie mais qui, sans prévenir, décide d'arrêter. Cet homme, c'est le seul auquel on est tentés, spectateurs, de s'identifier et le monde dans lequel il opère, c'est, on s'en doutait, le nôtre. Érigé en peinture quasi-naturaliste du phénomène d'individualisation galopante auquel se livre notre société; phénomène qui voit affirmer à un toujours plus grand nombre de personnes qu'elles se sentent inadaptées à la vie, le film surprend et plaît par le côté sympathique et original qu'il cultive dans les dialogues, comme dans le traitement de l'intrigue générale. Et, bien sûr, par la surprenante conclusion, plus claire qu'obscure, qu'il fait de l'examen de cet étonnant inconnu...

Entraînant peu à peu le spectateur dans cet univers grisouille, Delaporte parvient l'élégante acrobatie de marcher sur un fil sans tomber d'aucun côté. Alliant un rythme soutenu à un Kassovitz excellent, le film frôle un grand nombre de "déjà-vu" en ne puisant qu'uniquement dans ceux que l'on aime bien. L'inévitable histoire d'amour? La, semble-t'il, nécessaire adaptation de l'antihéros schizoïde? L'autodestruction détachée? Tout est là, mais tout n'y est pas comme on a l'habitude de l'y voir; et c'est une bonne chose.
epitafe
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le 20 nov. 2014

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