Malgré son jeune âge - encore lycéen, le jeune homme n’a que dix-sept ans -, Zé (Tergel Bold-Erdene) exerce déjà auprès de sa communauté la fonction de chamane. La première scène le dévoile au plein cœur d’une séance, devenu « grand-père esprit » et s’exprimant avec la voix et la sagesse d’un vieil homme, naviguant entre le monde des esprits qui l’inspirent et celui des êtres encore vivants auxquels il s’emploie à apporter son aide.
Native elle-même d’Oulan-Bator, où elle implante ce premier long-métrage, Lkhagvadulam Purev-Ochir (1989, Mongolie -), dont les courts précédents se sont déjà vus couronnés de prix, continue d’explorer les frontières, cette fois sur le plan spatial, puisque le héros et sa famille habitent aux marges de la ville moderne, dans l’immense ceinture de yourtes et de constructions fragiles qui entoure la cité et marque la limite entre le paysage urbain et celui, sauvage, des hautes montagnes qui le cernent.
Centré sur le personnage éponyme, le scénario, de la réalisatrice elle-même, suit celui-ci dans ses autres vies, familiale, lycéenne, mais il y semble flottant, encore à demi happé par le monde des esprits, veillant sur le sommeil des siens au son de sa guimbarde, lorsqu’il est chez lui, coupé des plaisanteries lourdes de ses camarades, lorsqu’il est au lycée.
Cet écartèlement va s’accentuer lorsque son chamanisme l’amènera à faire la rencontre de Maralaa (Nomin-Erdene Ariunbyamba), jeune fille de son âge, dont il présente l’esprit comme attaché de façon fragile à son corps. Premier amour, intense, entier, qui menacera l’investissement de ses pouvoirs chamaniques en même temps qu’il l’ouvrira, mais douloureusement, au monde réel.
L’image, superbe, de Vasco Viana, explore magnifiquement l’opposition de ces mondes en apparence inconciliables, recueillant aussi bien la clarté aveuglante des scènes extérieures, dans le climat glacial de cette capitale perchée à plus de mille mètres d’altitude et environnée de neige, que la pénombre bleutée de la nuit ou l’intimité brune et chaleureuse des scènes chamaniques sous la yourte.
Avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité, secondée par moments , mais de façon très subtile et discrète, par la musique de Vasco Mendonça, la jeune cinéaste, qui revendique l’héritage de Kieslowski pour sa façon de faire percevoir plus qu’il n’en montre, ne choisit pas entre ces différents mondes, ne tranche pas, puisqu’elle en saisit également la continuité et l’interpénétration. Mais elle s’attache, avec beaucoup d’élégance dans le refus du tragique, au questionnement d’un destin : pour ce jeune homme qui semble avoir grandi, dès l’enfance, à la croisée des mondes, quel secours, quel recours ? Quelle aide, pour lui qui se consacre à aider les autres ? Très belles figures, au passage, d’un « grand-père voisin » et de son fils alcoolique, « frère voisin »… Quel message, pour lui qui se voue à transmettre ceux des ancêtres ?
Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/un-jeune-chaman-film-lkhagvadulam-purev-ochir-avis-10068374/