J'ai découvert Life in a Day il y a peu de temps sur Youtube, je cherchais un documentaire intéressant à regarder. Le film était unanimement bien côté (8 en moyenne sur senscritique.com ) et j'ai tout de suite été séduite par la description de son concept original :
«A film shot by film-makers all over the world that serves as a time capsule to show future generations what it was like to be alive on the twenty-fourth of July, 2010. ».
En effet, Life in a day (traduit littéralement par « La vie en un jour ») se présente comme un immense collage de vidéos très diverses produites par des internautes du monde entier le jour du 24 juillet 2010. Ce documentaire d'un nouveau genre résulte d'un immense appel à projet lançé sur Youtube sous forme de vidéo le 01 Juillet 2010. Dans cette vidéo, le réalisateur américain Kevin MacDonald décrit son ambition de créer un film historique destiné aux générations futures, qui représenterait le monde simultanément dans sa pluralité tel qu'il est aujourd'hui. Il s' adresse aux internautes pour leur proposer de filmer un moment de leur vie le jour choisi du 24 juillet 2010 et de lui envoyer une vidéo. Avec toutes ces vidéos, il fera ce film par tous et pour tous.
Mais si le projet est novateur, le concept intéressant et très enthousiasmant, le résultat est horrifiant et ne représente en rien le monde actuel dans sa diversité. Car si il donne l'air d'avoir l'ambition démocratique de donner la parole au peuple pour se représenter, le film, co-produit par Ridley Scott (riche réalisateur et producteur américain) , la plate-forme de partage web Youtube et la multinationale LG electronics, diffusé en masse gratuitement sur le web ( environ 30 millions de vues à ce jour sur le net, sans compter les visionnages en dvd et téléchargements) devient en fait une véritable machine américaine de propagande capitaliste qui va très très loin.
Si le générique de présentation du film vante l'immense diversité de son contenu avec plus de 80000 vidéos reçues soit environ 4500 heures de rush provenant de 192 pays en 45 langues différentes (1), il supprime pourtant dans sa sélection des régions entières de la planète. Dans ce film l'Europe n'existe pas et c'est bien simple le monde entier n'est composé à peu de choses près que des USA et du « Tiers-Monde » ; une dualité construite par un montage binaire qui sert une vision simpliste et manichéenne de notre monde . Rien entre la grande puissance américaine glorifiée et les sombres bas fonds de notre Terre où tous les pauvres enfants travaillent, mangent du riz avec les doigts et vivent dans l'insalubrité la plus totale. Une « réalité » d'autant plus douteuse quand on sait que certains pays n'ont pas été invités à participer à ce grand projet, notamment ceux concernés par des embargos ou des sanctions américaines comme l'Iran, la Syrie, Cuba, la Corée du Nord et le Myanmar.
Mais au-delà de ce contenu amputé et de toutes les possibilités déjà écartées par l'omission de nombreux pays, la question du choix des vidéos utilisées et de leur mise en forme se pose.
Quels ont été les critères de sélection ? Le réalisateur ne s'explique pas sur ces choix, il dit simplement qu'ils ont choisi « les meilleures ». D'ailleurs, en une heure et demi de film pour les 4500 heures de rush reçues il est clair que la majeure partie des productions à été écartée ; et pourtant on se retrouve à revoir souvent des morceaux d'une même vidéo disséminée dans le film pour créer des personnages attachants. Le plus emblématique de ces personnages est un petit cireur de chaussures de 5 ou 6 ans qui vit quelque part dans ce fourre tout de Tiers Monde et dont l'unique objectif est de gagner de l'argent. L'enfant le plus débrouillard et le plus mignon de la Terre porte d'ailleurs un t-shirt LG dans toutes les séquences où il apparaît...(2) Un message subliminal ? Pas très discret !
Encore une fois pour un souci de structure de son propos, le film est construit en trois parties selon trois questions posées préalablement par Kevin (Ronald?) Macdonald aux internautes au moment de l'appel à projet : « Qu'avez vous dans vos poches ou votre sac? » / « Qu'est- ce que vous aimez le plus ? » /« Qu'est-ce qui vous effraie ? ».
En bref, à ces questions le montage répond que dans notre poche nous avons (3) : de l'argent, de l'argent , un couteau ( « parce que il y a des gens cinglés dans ce monde »), un revolver, de l'argent, les clés d'une superbe voiture de sport, de l'argent, « un super porte- feuille Marc Jacobs », une carte de crédit, de l'argent, une croix, « my Ipod, which is my soul », de l'argent... Ridiculisés comme tout au long du film, les pauvres africains, eux n'ont soit carrément rien, soit une brindille qu'ils utilisent pour se curer les dents. Et pendant ce temps là, les arabes vivent à 14 dans un taudis au milieu du désert, sans eau ni électricité. Ils ne peuvent pas travailler car ils ont trop d'enfants à s'occuper et l'un d'eux et d'ailleurs retardé, il est« obligé de l'attacher pour ne pas qu'il s'éloigne». Et en plus ils égorgent les animaux , ce sont des meurtriers sanguinaires (4)
Attention, n'oublions pas que ce film est un document historique et promet de nous représenter tels que nous sommes aujourd'hui !
Nous aimons l'amour, le mariage, notre père, Dieu tout puissant, Elvis Presley, le football , notre superbe voiture de sport, les hamburgers, Dieu tout puissant, notre famille, le pouvoir, la liberté. (5)
Nous avons peur des araignées, des sorcières, du divorce, de la mort, de la guerre (mais il faut bien aller faire la guerre en Afghanistan pour sauver ces gens incapables de s'occuper d'eux mêmes), de la drogue, « des gens qui ne croient pas en dieu et iront en enfer ». Les noirs eux ont peur de l' « homosexualité car ils ont peur de la maladie » et les Afghans ont peur dans la rue pendant qu'une pauvre jeune mariée américaine se lisse les cheveux dans sa salle de bain pour se préparer à un rendez vous skype avec son mari parti se battre pour la nation...(6)
Le tout est englobé tout du long par le ton tantôt ébahi, tantôt pathétique de la bande son mièvre de Matthew Herbert et H-Williams Gregson, elle non plus en aucun cas représentative de quelconque musique écoutée et écoutable en 2010 ;avec des chansons aux paroles du style « je veux me sentir fort et atteindre le sommet de la montagne sans me soucier des autres » ou « nul besoin de livres quand on peut parler ».(7)
Life in a Day dépasse toutes les limites imaginables, se présentant comme un documentaire à valeur historique, ce film est tout au plus un mauvais film de propagande qui ne pose aucune question, ne propose aucun avenir ni aucune alternative. Projet de désinformation à grande ampleur destiné à une diffusion de masse, il utilise un procédé faussement démocratique et des voix plurielles pour générer le propos d'une pensée univoque. Glorifiant la toute puissance américaine et la logique capitaliste , éliminant du même coup tout autre possibilité de mode de vie. Life in a Day deviendra certainement historique, mais comme le témoignage cruel d'une connerie globalisée, un document de la mauvaise foi et de l'hypocrisie. Un film à voir au moins une fois avec la bonne distance, comme un bon film d'horreur.