Cela fait 5 ans que l'on avait pas vu un film de Ang Lee sur nos écrans, le dernier en date étant le culte Life of Pi avec sa technologie révolutionnaire pour l'époque et qui avait connu un franc succès. C'est donc surprenant de ce dire qu'un réalisateur nous ayant quitté sur un tel succès, revient avec un film qui risque de passer totalement inaperçu. Principalement parce que Ang Lee a voulu continuer ses expérimentations techniques, voulant emmener son cinéma encore plus loin. Ce qui n'est pas un mal, au contraire même si il a eu un très bon début de carrière et qu'il a offert quelques films cultes comme Brokeback Mountain, il est un réalisateur qui ne transcendent jamais ses concepts. Ses films sont souvent réussis mais ils leurs manquent toujours un petit quelque chose pour être vraiment des œuvres majeures. Et Lee cherche ce quelque chose sur le plan technique avec ce Billy Lynn's Long Halftime Walk qui a été tourné en 4K, en 3D et en 120 images par seconde, ce qui le rend totalement unique.
Malheureusement, très peu de salles sont à même de proposer un tel format de diffusion et les distributeurs ne s'embêteront même pas à essayer de le proposer dans le format dont il a été pensé et réalisé. Beaucoup ne le verront qu'en 24 images par secondes et dans les formats standards des cinémas. Il est donc difficile d'avoir un avis définitif sur un film que l'on ne verra jamais vraiment, du moins pas dans l'expérience qu'il devait nous proposer. A savoir nous immerger dans le quotidien de ces soldats, nous faire ressentir le syndrome post-traumatique du héros et nous emmener dans un voyage sensorielle qui dépasse le cadre du cinéma. On voit très clairement les intentions de la mise en scène d'Ang Lee, très habile d'ailleurs, mais sans l'apport technologique jamais on ne les ressent vraiment. Pourtant le film est parsemé de bonnes idées sur le plan visuel, notamment dans sa manière très épurée de filmer le conflit au profit d'un parallèle plus sensationnaliste aux Etats-Unis où la guerre y est plus esthétisé et spectaculaire. Le rêve américain, représenté par ses jeunes soldats courageux et glorifiés, face à l’âpreté de la réalité, que ce soit à travers un conflit sale moralement et physiquement mais aussi l'incompréhension des foules, très puissante confrontation des points de vues, qui vont vénérer ou détester une chose qu'ils ne saisissent pas. Ang Lee est d'ailleurs plus intéressé à montrer ça, avec une caméra très proche de ses personnages, qui les oppressent et qui montre bien que la guerre est plus rude en Amérique, notamment à travers le regard portée par celle-ci sur ces soldats, et que ceux-ci ne trouvent vraiment la paix qu'au sein du vrai conflit, leur maison comme eux-même le disent.
Le propos du film se montre pertinent et percutant, l'Amérique n'est ici qu'une façade publicitaire, un monde d'hypocrisie et d'incompréhension qui veut s'accaparer l'histoire des autres pour l'enjoliver et se vendre avec. On voit le cercle vicieux de la guerre, où les riches envoient des jeunes soldats se battre pour qu'ils puissent rester riches, et exploitent les faits d'armes de ceux-ci, les glorifient pour pousser plus de jeunes à aller ce battre pour leurs intérêts. C'est l'histoire du vrai rêve américain, celui qui se cache sous les feux d'artifices et les paillettes. Malgré tout, le film peine vraiment à donner corps à son propos soit par un montage peu subtil dans l’abattage de ses flashbacks soit par une écriture trop lourde, voire mécanique dans certains dialogues. La critique d'Hollywood, du merchandising de la guerre et tout l'aspect satirique de l'oeuvre manque de finesse, et même si on sent l'envie d'être aussi pompeux et glorifiant que l'Amérique pour forcer le trait, c'est trop évident pour vraiment fonctionner. Mais vendre le pays comme un marchand de mort à échelle internationale est vraiment judicieux, surtout que Ang Lee excelle quand il s'agit de montrer les rouages d'une mascarade adoubée par tous.
Et c'est là que le scénario bascule pour venir faire une étude de ses personnages, les soldats victimes volontaires d'un système qui les écrasent. Ils jouent le jeu, ils paradent et se force à prétendre que tout va bien alors qu'ils sont clairement brisés mais parce qu'ils sont des junkies qui ont besoin de leurs doses. La guerre est devenu leur drogue. Chose symbolisée par la relation entre le héros et sa sœur, où elle lui explique qu'il a la possibilité de rester chez lui plutôt que de retourner au combat mais que lui ressent le besoin d'y retourner. Chose que l'on peut voir aussi à travers ses échanges avec son sergent, ils n'ont plus le choix, ils sont pris dans un engrenage qui les dépassent, un engrenage dont ils dépendantes. On est face à une jeunesse sacrifiée, qui prend sur elle malgré les épreuves et font ce qu'ils ont a faire en restant unis. Le film arrive vraiment à nous immerger dans ce groupe et nous faire ressentir de l'empathie pour ces soldats, on est vraiment l'un des leurs et ce procédé arrive à toucher du doigt quelque chose de tragique, que bien d'autres films du genre n'effleurent jamais. Mais le scénario se sent parfois un peu trop obligé de tomber dans des clichés assez déplorables pour venir asseoir son point de vue, ce qui désamorcent trop souvent des situations qui n'avaient pas besoin de ça pour avoir un impact. Et le tout plonge dans une romance forcée et mal écrite, même si elle fait sens dans ses derniers instants, le message qu'elle amène ne suffit pas à la justifier. D'autres moyens plus habiles auraient pu nous amener à la même conclusion et on voit ça comme une paresse vraiment dommageable.
Billy Lynn's Long Halftime Walk est un bon film, qui pourrait même avoir l'envergure d'un grand film si on le voyait dans sa version définitive. Malheureusement on doit se contenter que de ce que l'on nous diffuse faute de mieux. Et il faut reconnaître que le film ne manque pas d'arguments via son propos percutant et sa mise en scène appliqué mais qu'ils souffrent aussi de petits défauts agaçants comme son manque de subtilité ou certains développements stériles. Mais la vraie force du film, celle qui ne lui fait jamais défaut, c'est son casting extraordinaire. Entre la révélation de Joe Alwyn, bouleversant dans le rôle du protagoniste, l'excellente performance de Garrett Hedlund totalement habité par son personnage ou encore Kristen Stewart qui est définitivement une grande actrice même dans des rôles relativement secondaires, tout le casting offre des prestations sans fausses notes. Et le vrai tour de force du film, que tout le monde pourra voir, c'est que celui-ci parvient à tirer quelque chose de sensible et touchant de Vin Diesel, qui a une présence limitée mais qui se montre étonnamment bon dans son rôle.