L'univers cinématographique de Woody Allen a quelque chose de pourri. Une chose qui correspond entre Annie Hall et A Rainy Day in New York et se transmet entre toute l'œuvre d'Allen. Car que voyons-nous ?


Nous sommes face, à chaque instant, à des visages, et rien d'autre. Que nous soyons dans les rues, dans un parc, dans un musée, il y a ces visages qui défilent et nous ne sentons jamais d'aussi près la pourriture que quand ils parlent.
En effet, les mouvements sont congestionnés dans la parole, les bouches s'émeuvent de leur propre existence à chaque moment et piaillent un "je suis" désespéré.
"Je suis meilleur sous la pluie."
"Je suis journaliste."
"Je suis dépressif."
"Je suis amoureuse."
Tout cela se fond dans la même vanité sans mesure. Car les personnages de Woody Allen aimeraient plus que tout être réels. Alors ils parlent pour se donner forme et sans cela, ils seraient trop fantomatiques, trop inexistants, trop effrayants.
A force de parler, Woody Allen perd de plus en plus son masque, et nous pouvons même ressentir, par leur forte odeur, toutes les arrière-pensées du cinéaste. (D'ailleurs, il y a quelque chose de significatif dans le fait que le mot, semble-t-il, préféré du cinéaste est diarrhea.)


Qu'est-ce que le décor quand tout est parlé ? La parole pourrit tout et même quand les personnages vont mal, il faut encore parler, ne pas laisser une minute de répit. Ce manque de silence est une souffrance, on se perd à suivre les dialogues sans fins de ces petits héros.


Ce film est comique, bien que ce qu'il manque à Allen pour être un maître de la Comédie, c'est la constitution de la Comédie. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une Comédie, mais d'une narration humoristique, verbale.


Si nous analysons la parole chez Allen, il n'y a que de la culture. "J'ai lu ceci, as-tu vu cela, etc." Les paroles ne sont qu'une remise à niveau de l'intelligence des personnages, toujours embrumées par les arrière-pensées du cinéaste.
La sensation d'étouffer intervient quand nous apercevons un carré de décor, et nous voyons la ville (si nous ne voyons pas la caméra). Ce carré est une dalle appartenant à une ville, sur laquelle tombe la pluie, une légère poésie âcre, toute spéciale, bellement hollywoodienne, traditionnelle, soumise à un poids culturel effarant. Et si nous revenons à la parole, nous voyons que tout cela était écrit sur des panneaux publicitaires, nous sommes obligés de subir leur écoute, leur présence incessante, leur défilé dans la ville culturellement anthropophage : New-York.


Il n'y a qu'à regarder la scène du musée pour s'en persuader : les personnages jactent et même si les tableaux sont filmés devant leurs visages, la peinture est étouffée par le bruit de la parole, une culture asphyxiée par la culture, une fête de vivants dans un cimetière en jachère.


Dans Annie Hall, nous retrouvons une idée, peut-être improprement cinématographique, qui est celle de la vérité idéale. Le film est un fantasme de la vie réelle. Voilà pourquoi les personnages piaillent comme des oiseaux sans mère, ils ont besoin d'une preuve que leur fantasme n'est pas que fantasme et que leur désir n'est pas que fumée. Quelque chose les tue du dedans.
Fanning est la muse de plusieurs hommes et tous disent (ou semblent dire) "dans mon film…" C'est le film-fantasme. Tout est possible mais il n'y a qu'une volonté astreinte au désir qui prime. L'idée du film est pourrie et les paroles sont tout autant de champignons qui n'en finissent de la manger.


Et nous finirons en démontrant que cette idée en contredit une autre sur un thème assez compliqué, celui du réel. Si tout doit être fictif dans une fiction, les films d'Allen s'en trouve à une limite trop proche de la réalité. Je ne dis pas qu'il faille faire dans l'abstraction complète, je dis que la réalité est le crève-cœur de la fiction ; on s'y afflige mais la fiction se situe dans d'autres nuages. Allen est insupporté par ces nuages. Il n'entend que les paroles qui résonnent entre les briques new-yorkaises, les passions criées à la volée, l'œil comique, sauf que tout ça n'est que mensonge. La parole est un mensonge, une expression qui capote et ce que nous avons voulu dire se retrouve dans le fossé. Croyez bien qu'à partir de là, le silence est préférable. Même le cinématographe doit avoir son silence.


Ressentez bien la fin qui est le seul silence du film, combien le protagoniste tomberait malade s'il se prolongeait ; et cette maladie, si elle était filmée ne serait déjà plus le cinéma de Woody Allen. Le silence est répudié et c'est le fantasme qui intervient, cette fille idéale, ces orangers de France, le passé de la mère, ces paroles qui mèneraient quelque part…

LapinNoir
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le 17 févr. 2021

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LapinNoir

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