Nous étions le 2 février et comme chaque année autour de cette date j’ai regardé Un Jour Sans Fin, film d’Harold Ramis dont je n’ai pas vu l’ombre du DVD depuis fort longtemps et donc cela me promet peut-être de passer une année assez tristement similaire à la précédente. Ou non ?
Nous suivons Phil Conners (Bill Murray), un M. Météo on ne peut plus blasé à la fois par son métier, narcissique et condescendant, misanthrope au possible qui doit partir avec sa productrice, Rita Hanson (Andie Mc Dowell) et son cameraman Larry (Chris Eliott), dans la célèbre petite ville américaine de Punxsutawney où chaque année le 2 février donc, une fête municipale est organisée où une marmotte nommée Phil est censée, dans un folklore étrange, indiquer si l’hiver se prolonge encore de soixante jours, ou s’il sera bientôt terminé. Je ne sais pas si cette cérémonie a encore lieu avec le réchauffement climatique, mais ce que j’affirme, c’est qu’ Un Jour Sans Fin est un film fascinant et profondément et parfois injustement sous-estimé. Car, alors que l’équipe de tournage n’est censée passer qu’une nuit et une journée sur place et repartir pour Pittsburgh, un blizzard les empêche de continuer la route. Le fantastique du film intervient alors lorsque Phil Conners revit perpétuellement cette même journée : le réveil qui sonne avec la chanson de Sonny & Cher qui passe à la radio qui se déclenche à 6h suivi des 2 présentateurs lourdingues, le type dans le couloir, la concierge de l’hôtel qui lui propose un café, le sans-abris qui demande une pièce, la rencontre fortuite avec un insupportable ami d’enfance, le reportage du rituel de la marmotte, et le blizzard qui empêche de partir.
Première chose très notable, c’est bien l’évolution du personnage de Bill Murray, coincé comme cette marmotte à qui l’on demande de revivre perpétuellement ce même rituel. Phil Conners est objectivement odieux il ne pense franchement qu’à sa pomme et il lui faudra sans doute plusieurs centaines de jours pour se calmer. S’il a d’abord le réflexe de s’apitoyer sur son sort au moment de comprendre son emprisonnement, il va au bout de la seconde boucle déjà, profiter de la situation puisqu’il est le seul à revivre cette journée : il va voler de l’argent, draguer des femmes en trichant en leur demandant la veille des informations qu’il liste au fur et à mesure et cumule au jour le jour, se goinfrer de tout et de rien, frapper ce vieux pote insupportable, risquer de tuer d’autres personnes en voiture… L’un des verrous sous-entendu à sa situation est le personnage de Rita, car il va, bien entendu tomber en amour pour elle. Mais là où il se fait prendre à son propre piège, c’est qu’il agit avec elle comme avec les autres et la considère clairement comme un potentiel PQR : il vérifie quelles cases il peut remplir pour la satisfaire, teste, réessaie, teste, réessaie… Le personnage de Rita est assez intriguant, elle est décrite de manière logiquement plus complexe que les autres personnages féminins victimes de Phil le Perv, elle le connaît déjà un peu, il lui a déjà montré un vague intérêt châtié, mais elle ne l’apprécie pas et ne consentira pas à ses avances simplement parce qu’il a rempli les bonnes cases de la journée.
Non, le problème de Phil, c’est qu’il est individualiste et que sa personnalité passant au dessus de tout, il ne peut pas être « aimable » au premier sens du terme. Dans l’acceptation de l’insignifiance de sa situation et qu’il ne peut plus la résoudre, il tente alors de se suicider à plusieurs reprises, mais à chaque fois il est réveillé par cette horrible chanson des deux chèvres.
Et c’est en fait malgré lui d’abord et de plus en plus volontairement qu’il va s’intéresser à la communauté de Punxsutawney : prendre soin des gens comme s’il souhaitait leur offrir une journée idéale. Enfin, il va chercher lui-même à s’accomplir à travers la culture notamment, en se transformant en bookworm, en apprenant à jouer du piano, acquérant du savoir médical suffisant pour vouloir soigner le sans-abri et faire une manœuvre d’Heimlich, en se découvrant une vocation pour la sculpture sur glace... Et c’est finalement en se collectivisant, c’est à dire en participant à la vie collective tout en devenant une identité nouvelle pour elle grâce à ses accomplissements culturels et intellectuels, qu’il va pouvoir sortir de la boucle et qu’il va véritablement être amoureux de Rita, tout comme elle tombera amoureuse de lui. En résumé, cela passe donc par la destruction d’un gros bouffon ignare et égocentré, par la reconstruction d’un altruiste qui a su s’accomplir dans certaines pratiques et surtout humble et modeste.
Dans sa construction, Harold Ramis offre des dialogues très bien écrits, et pour le coup le film n’est pas véritablement daté, ce qui est plutôt bien pour un film qui évoque la répétition d’une même journée. Bien entendu, la prestation de Bill Murray est juste parfaite avec cette nonchalance terrible dont il fait preuve, qu’il cabotine ou qu’il s’attriste. Andie McDowell a une facette un peu naïve a priori mais qui se retrouve assez rapidement contredite et l’on comprend que ce n’est pas le simple cliché du love-interest même si je soupçonne que la fin du film soit plus une commande de production plutôt qu’une véritable volonté de la réalisation.
Du point de vue de la construction de ce scénario, et personnellement, en jouant à pas mal de jeux vidéos, mon cerveau a fait bien entendu quelques parallèles bizarres avec une œuvre comme un Dead Rising, ou Persona, ou même la pratique de Speed-Run qui, a posteriori me semblent assez évidents. La comparaison va peut-être vous paraître stupide, mais le fait de toujours chercher à se perfectionner, y compris dans un cadre restreint pour aboutir un objectif idéal est en réalité quelque chose de très humain et artistiquement, nombreux sont les réalisateurs de films, les peintres, les musiciens etc. qui admettent qu’avec une restriction de moyens, on a une forte tendance à utiliser tout l’espace qui nous est offert, ou bien encore à répéter un geste, une scène, une posture parce qu’elles et ils savent la maîtriser ou cherchent toujours à la perfectionner. S’ajoutent, mais cela est une évidence, toutes les fois où récemment, vous et moi nous nous sommes dit « ah si j’avais le temps/moyens de lire/regarder/aller/jouer/écouter/manger... » qui est à la fois un sentiment détestable de frustration mais aussi hautement satisfaisant car il souligne à quel point notre vie ne demande qu’à être remplie.
Et si de ce fait, Un Jour Sans Fin avait les mêmes impulsions créatrices et significations qu’une peinture dite de « Vanités », c’est à dire une représentation de tout l’orgueil de l’humain et de toute sa petitesse à la fois face au temps qui passe et à la mort ? À trois reprises me semble-t-il dans le film, Phil Conners se prend dans les oreilles qu’il voit toujours le verre à moitié plein, ou les choses de manière pessimistes, ou qu’il ne se soucie pas de l’avenir. Son empressement à vouloir quitter cette boucle temporell ou à en abuser pour sa propre jouissance durent sans doute une éternité, parce qu’il est issu de la ville, il est le produit bâtard d’une chaîne d’information et ressemble à n’importe quel self-made-man moyen, il est le produit humain d’une idéologie qui ne pense qu’au présent et n’est pas capable de penser au lendemain. C’est ainsi qu’il met énormément de temps avant de comprendre l’ambivalence et l’opportunité à vivre dans cette boucle pour pouvoir en sortir. Et il en échappe finalement, parce qu’il veut construire, il veut se projeter et donner du sens à son environnement, à sa relation avec ses proches en leur apportant et non en leur prenant, en s’accomplissant sentimentalement et culturellement.
Non clairement, tout n’est pas aussi simple que cela en a l’air dans ce film. Pour évacuer la question, les défauts du film sont vraiment assez mineurs : un léger problème de rythme en début et une fin un tout petit peu précipitée peut-être (et qui se déroule assez bien mais semble un peu à côté du discours), trop peu de personnages secondaires développés et une bande originale parfaitement générique. Dans tous les cas, si ce film vous plaît dans sa construction, en 2022, Comme Un Lundi de Ryo Takebayashi reprenait un peu toutes ces thématiques de manière assez bienvenue. Vous pouvez réécouter la chanson In The Year 2525, regarder l’épisode de Futurama In the year 252525, jeter un œil aux jeux mentionnés ci-dessus et au principe de speed-run si vous n’en êtes pas familiers. Je suis sûr que des centaines d’exemples d’œuvres se rapprochant existent dans tous les types d’arts.