Un type, journaliste, absolument odieux, joué par le très bon Bill Murray, est envoyé, comme chaque année, couvrir la journée de la marmotte. L’équipe est complétée de la jeune et enthousiaste Rita, productrice et de Larry, le caméraman. D’emblée, Phil (qui partage son nom avec la marmotte prophétique de la petite ville de Punxsutawney) ne nous apparaît pas comme un personnage sympathique : imbu de lui-même, sarcastique, méprisant, égocentrique et misanthrope, il ne souhaite qu’une seule chose, en finir au plus vite avec la corvée qui lui incombe. La journée se passe en une suite de petits événements irritants faisant grandir au fur et à mesure l’exaspération de Phil. Et celui-ci n’y met aucune bonne volonté, sans, à aucun moment, se soucier des autres, bâclant son travail de journaliste et se moquant des habitants de la ville qu’il ne voit que comme une vaste bande de tocards. Malheureusement pour Phil, coincé à Punxsutawney à cause d’une tempête de neige, le lendemain, la comédie recommence. La journée se déroule exactement de la même manière et il ne faut que quelques minutes à Phil pour se rendre compte qu’il est en train de revivre la journée d’hier... qui est en fait aujourd’hui ! Si la journée sans fin est devenue désormais un thème éculé, ici, il nous apparaît un peu plus dépoussiéré car, en effet, le personnage de Bill Murray, blasé de tout, émerveillé de rien, réagit à cette mauvaise blague fantastique comme il réagit à tout le reste : avec un égal mécontentement, une irascibilité et une exaspération résignée et burlesque. C’est cela qui donne de l’épaisseur à la comédie : le personnage accepte cette fatalité bien qu’il ne la comprenne pas le moins du monde. Et l’espace-temps dans lequel Phil est coincé devient soudain un terrain de jeu. Le montage rend compte d’une exploration temporelle : dans cette bulle de vingt-quatre heures, un monde en soi, Phil expérimente absolument tout, joue un rôle puis un autre, apprend une pièce par coeur en répétant des gestes, des répliques, qui faussent d’abord la relation qu’il essaie de nouer avec Rita. Cette journée sans fin est un apprentissage, un acharnement, une persévérance : tout ce qui a été accompli la veille devient caduque le lendemain. Tout est à recommencer. Même la mort est perdue d’avance, comme le reste, elle n’est que répétition et infiniment modulable laissant libre cours à l’imagination du personnage qui expérimente les suicides les plus atroces. Phil explore réellement le champ le plus vaste des possibilités que lui offre cette journée sans fin comme le ciel filmé en ouverture du film, une étendue que borne les bords du cadre mais dont on ne saurait donner le commencement ni la fin.
Phil subit d’abord ce jour de la marmotte qu’il abhorre par-dessus tout, puis s’amuse de ce que ses gestes et ses actions sont oubliés le lendemain, libérant ainsi ses désirs de toute restriction, de toute inhibition, de tout remord. Il est véritablement un être libre et il se grise de cette inconséquence. Le montage, grâce à des ellipses, saute directement vers l’événement attendu par Phil pour rejouer la scène d’hier en mieux. L’accumulation de plans courts où se tisse la répétition du même en mille variations donne une épaisseur au jour qui n’en finit pas de recommencer. Mais cette mécanique de la répétition finit par fausser la spontanéité des gestes du personnage, jouant un rôle qu’il souhaite maîtriser sur le bout des doigts pour séduire Rita. Celle-ci se rend compte de quelque chose et dès lors Phil enchaînera échec sur échec, chaque échec et donc chaque changement de plan, contenant dans l’intervalle les vingt-quatre heures d’une journée qui n’a cesse d’être rejouée, encore et encore. On ne saura pas exactement combien de temps Phil restera bloqué dans cette boucle temporelle et c’est pour le mieux puisque de toute façon, ici, le temps perd de son sens dès que l’on essaie de le compter en jours, en semaines ou en mois. Same old day. Au fur et à mesure, Phil prend conscience que, s’il est condamné à vivre la même journée éternellement, il ferait mieux de ne plus la subir mais, au contraire, de profiter de ce qu’elle a à donner. De fait, son comportement change progressivement avec les habitants de la ville et ses coéquipiers. Il finit par connaître par coeur la vie de chacun, anticipe les accidents, les prévient ou les résout, se mettant ainsi à l’écoute du microcosme de Punxsutawney. Son égoïsme premier se mue en altruisme et c’est un véritable parcours initiatique qui se met en place progressivement par petites touches disposées ça et là (il lui faudra du temps avant de se préoccuper du sort du sans-abri qu’il croise tous les matins). Si la morale ou le message caché derrière est simple et que les enjeux tournent surtout autour de la romance Phil/ Rita, cette comédie a le mérite de déplacer les lieux communs vers autre chose, de donner à la situation une dimension légèrement tragique, en filigrane et qui laisse le spectateur douter, même un peu, de l’issue de cette anomalie temporelle dont on ne donnera ni la cause ni la raison.