6h00, le réveil sonne. Chaque matin le même rituel : se lever, prendre sa douche, boire son café, aller travailler puis rentrer, regarder un film, faire à manger, et écrire une critique avant d’aller se coucher. Voilà ce à quoi se résument les journées d’un critique cinéphile bénévole et invétéré comme l’auteur de ces lignes. Passionnant n’est-il pas ? Aujourd’hui c’était le tour d’Un Jour sans fin qui m’avait donné un sentiment de déjà vu la première fois. Pourtant, c’est bien grâce à l’universalité de son sujet, la simplicité de ses effets de mise en scène et l’interprétation de Bill Murray qu’est à aller chercher le supplément d’âme de cette comédie interrogeant la notion de libre arbitre et érigeant la bonté d’âme comme modèle de vertu, de bonheur et d’équilibre spirituel. Et puis, rien de tel que d’assister à l’aliénation et la déchéance d’un individu pour réaliser à quel point, il existe pire routine que la sienne.
Celle de Phil Connors, météorologue de son état, consiste à aller couvrir le jour de la Marmotte dans une ville de péquenaud de l’Amérique profonde où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Tout le monde sauf lui, puisqu’il ne supporte plus de devoir s’y rendre chaque année, et de voir sa carrière de journaliste rester au point neutre. Sa seule hâte c’est de rentrer chez lui après avoir une fois de plus bâcler son reportage par ses réflexions et sarcasmes. Mais le blizzard de la destinée va lui barrer la route et lui faire revivre inlassablement la même putain de journée encore, encore… et encore.
Pourquoi avoir choisi ce film dans un calendrier de l’avant alors qu’il n’y a aucun rapport avec Noël me direz-vous ? Et bien d’abord parce que le personnage fait des bonhommes de neiges, que la morale boudhiste ressemble beaucoup à La Vie est Belle, et puis parce que ça parle d’amour, de réconciliation, de marmotte et de chocolat. Par ailleurs, Un jour sans fin est typiquement le genre de film saisonnier que l’on se repasse à chaque fin d’année comme une tradition séculaire ancestrale, depuis sa sortie en 1993.
Si vous êtes capable de supporter les facéties et l’égo de Bill Murray ; qui, il faut bien le reconnaître n’a certainement jamais été aussi bon que dans ce film ; vous devriez allègrement apprécier cette histoire de boucle temporelle se targuant d’être la meilleure que le genre est produite, sinon la plus connu. C’est que l’on finit rapidement par s’y attacher au bougre à force de le voir arpenter cette même journée en long et en travers, comme s’il était coincé dans un purgatoire entre le paradis et l’enfer sans jamais comprendre ce que le bon dieu peut bien attendre de lui.
Imaginez-vous un instant à sa place, devoir revivre éternellement la même journée dans le même patelin, que feriez-vous ? Probablement la même chose que lui… D’abord vous iriez consulter un médecin puis un psy, puis vous tenteriez de quitter la ville au plus vite. Mais face à cette impasse ne laissant aucune échappatoire, vous commenceriez à tester les limites en conduisant en état d’ivresse pour voir ce qu’il en coûte à votre réveil le lendemain et ce avant d’aller plus loin. Face à cet état de fait insurmontable, vous allez pouvoir mener la grande vie, braquer un convoyeur de fond, séduire une habitante pour partager sa couche, faire de la sculpture sur glace, prendre des leçons de piano, devenir incollable sur n’importe quel sujet de votre choix. Mais à la longue, cela peut rapidement rendre fou, surtout quand les personnes que vous rencontrez refusent de vous croire et vous prennent pour un guignol.
A l’instar des PNJ de chez Bethesda, les habitants de Punxsutawney ne changent jamais de refrain ou de train-train de quotidien, excepté si vous parvenez à les influencer ou que vous vous mettiez en travers de leur chemin. Mais à quoi bon quand la mémoire fait défaut ? Face au désespoir il reste un peu d’espoir. Celui d’attenter à ses jours en se jetant du haut d’une tour ou en expérimentant d’autres manières violentes de mourir ou de troubler l’ordre public. S’il est animé par un plaisir de la transgression, le film n’ira malheureusement pas jusqu’à pousser le vice d’amener Phil dans une misanthropie extrême qui impliquerai de s’emparer d’une arme et de faire un carton dans la foule à la manière d’un de ces vieux GTA où l’on s’amusait à semer le chaos pour se défouler après les cours.
A défaut de réellement surprendre, le réalisateur parvient à trouver une véritable harmonie entre ses nombreuses mises en abymes, la romance, le drame, et le comique de répétition. Phil va donc devoir arpenter cette épreuve à la fois comme une chance et une pénitence, et jouer un jeu de rôle grandeur nature en apprenant par cœur la timeline des événements de la journée. Un Jour sans fin a ceci près de paradoxale que c’est autant dans le contrôle absolu de son quotidien que dans le « lâché prise » que réside la clé de la solution. C’est en explorant intégralement son environnement et en abordant différemment la routine que celle-ci lui offrira alors de nouveaux horizons ponctués d’épisodes euphoriques, dramatiques et dépréciatifs.
L’intrigue se mue alors en quête rédemptrice d’ordre plus introspective, interrogeant la notion même d’identité (les actes nous définissent-ils réellement en tant que personne?) et de libre-arbitre. Harold Ramis se fait également l’héritier de Franck Capra, en lançant son héros sur les traces de George Bailey, afin d’en faire un bon samaritain, à l’écoute de son prochain, tentant de sauver le clodo du coin ou l’orphelin d’une chute potentiellement mortelle. D’ailleurs, c’est bien dans cette épiphanie candide et naïve que réside toute la beauté de cette comédie saisonnière qui n’a pas encore fini de tourner en boucle dans les chaumières.
En cette période de festivités où il convient de se réunir en famille, d'ouvrir les cadeaux et de déguster une bonne pintade fourrée. L’Écran Barge vous propose de déterrer la hache de guerre en pervertissant l'esprit de Noël. Cette sélection de films saisonniers accompagnés de critiques virulentes et acerbes est donc réservés aux viandards, aux bisseux, aux tueurs de masses, aux durs à cuirs, aux frustrés et à tous ceux qui ne croient plus aux bons sentiments et à la paix dans le monde depuis bien trop longtemps.