Le sujet a beau être éculé, quand un maitre comme Mankiewicz s’en empare, la saveur est de mise.
Patriarche confit dans une tradition, George Apley centralise à lui-seul toute la société bien-pensante de Boston. Satisfait, souriant, pétri de bonnes manières qui font passer dans un sourire le mépris de l’autre et de l’étranger (à savoir le résident de la rue d’à côté), il fait tourner l’horloge des marronniers, de galas de charités en thanksgiving, de maisons d’été en mariages arrangés.
On a beau connaitre la donne depuis Molière, la microsociété est croquée ici avec une telle acidité, le fiel est si raffiné qu’on en redemande. La tante acariâtre, le cousin lèche botte, le beau-frère cynique, chacun trouve sa place dans une partition réglée au millimètre. Joué admirablement, servi par des dialogues qu’on sait chez Mankiewicz affutés comme des lames de rasoir, la comédie humaine n’en finit pas de se déployer.
La belle idée de cet opus est de situer l’intrigue en 1912 : certes, la jeune génération est loin du mouvement hippie, mais on tente vaille que vaille de faire valoir une certaine liberté de mœurs, à l’image de la fille qualifiant sa famille de tribu primitive enfermée dans ses rites. Mais la petite étincelle de génie provient de l’intrusion d’un nouveau penseur qui va révolutionner les mœurs, un certain Freud dont les théories se répandent sur toutes les générations. Au fil d’une conversation d’anthologie et alors qu’il tente de s’ouvrir et de s’émanciper de son surmoi, le père de famille va ainsi évoquer la primauté du sexe dans notre inconscient à sa femme et lui demande de ne plus lui raconter ses rêves…
Sans totalement s’abandonner à la comédie débridée qui ferait la part belle à la nouvelle génération et son succès en matière de mariage d’amour (la partie n’étant finalement que partiellement remportée), c’est bien à la figure du père que Mankiewicz se consacre : son parcours, ses revirements et sa difficulté à s’extraire d’un carcan séculaire, thèmes qui font aussi la force d’On murmure dans la ville ou de Chaînes Conjugales. On retiendra notamment la forte leçon de renoncement à l’amour proposée par l’épouse à sa nièce, lui expliquant les vertus du mariage de raison, et y croyant avec tendresse. Car en dépit du vitriol ambiant, le réalisateur ne se départ jamais d’une véritable affection pour chacun de ses personnages, qui tentent de composer avec les lois du milieu dans lequel on les propulse.
Les films de Mankiewicz s’enchainent et se ressemblent : superbement écrits, fluides, lucides sur la nature humaine et dénués de mépris, ils sont le témoignage idéal de nos pathétiques et étincelantes destinées sociales.

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Sergent_Pepper
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le 6 oct. 2014

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