"Un p'tit truc en plus", réalisé par Artus, avait pour ambition de "changer le regard" sur le handicap. Cependant, cette tentative "sincère" se révèle problématique, car le film tombe dans des clichés et des attitudes infantilisantes qui desservent son propos.

Dès les premières minutes, le film donne le ton et expose une série de comportements problématiques. Par exemple, l'éducatrice, qui ne connaît pas encore Sylvain, le "nouveau", le tutoie immédiatement, le prend par la main et s'accroupit pour lui parler. Ces gestes, bien qu'ils puissent sembler bienveillants, sont en réalité révélateurs d'une attitude paternaliste et irrespectueuse. De même, tapoter les personnes sur la tête pour les compter et les appeler "les copains" est profondément déshumanisant.

Pour comprendre pourquoi ce film est problématique, repensez à la scène où Marc, un éducateur, parle à Sylvain. La scène est ridicule car le public sait que Sylvain n'est pas handicapé. Cependant, cette même condescendance n'est pas perçue comme déplacée lorsqu'elle est dirigée vers les "vrais" handicapés. Cela révèle à quel point notre société accepte et normalise ces comportements validistes sans même y réfléchir.

Une autre scène infantilisante se déroule lors des courses, où l'on place une personne handicapée dans le siège pour enfant d'un caddie (va défendre ça). Ce genre de représentation montre que, malgré ses intentions, Artus n'a pas compris l'importance de traiter les personnes handicapées avec dignité et respect. Toute cette séquence compromet le travail de ceux qui s'efforcent de changer la perception du handicap. Faire les courses en groupe en chantant, en reniflant les melons et en collant son nez contre les vitrines n'est pas valorisant.

Le film renforce toutes ces attitudes quotidiennes que vivent les personnes handicapées lorsqu'elles font leurs courses, attitudes contre lesquelles je me bats, telles que le tutoiement systématique, les surnoms débiles et les regards de pitié déguisés en compassion. Ces comportements, bien que souvent bien intentionnés, sont enracinés dans une ignorance que des représentations comme celle-ci ne font que renforcer.

Un autre exemple de cette ignorance est la scène où Orpy, un des personnages, souhaite simplement manger un hot-dog avec un des pensionnaires, mais se fait rabrouer par l'éducatrice en chef. Apparemment, avoir envie de faire quelque chose d'aussi banal est inconcevable pour elle. Suite à cette scène, les personnes se "révoltent" car elles ne veulent plus faire du coloriage. La réponse des éducateurs : une sortie en canoë, en groupe, loin de tout, ce qui illustre parfaitement l'échec de l'inclusion prétendue du film.

"Un p'tit truc en plus" se vante de changer le regard sur le handicap... L'apogée de cette vision tronquée se trouve dans l'affiche de fin, "Bienvenue au goûter de Noël de l'IME", alors que le film concerne des adultes. Ce décalage montre à quel point le film est déconnecté de la réalité des personnes handicapées.

Enfin, le film ne sert finalement que les intérêts des personnages valides. Le "drame" amoureux principal, qui est traité avec sérieux, contraste brutalement avec les "amourettes" des personnages handicapés, traitées de manière superficielle et infantilisante. Et que dire de Sylvain, qui feint d'être handicapé, et finit par revenir au foyer et se mettre en couple avec l'éducatrice vedette. Cette conclusion est non seulement illogique, mais quelle personne tomberait amoureuse d'un abruti qui imite une personne handicapée pendant une semaine ? C'est exactement du même niveau de gênance que Michel Leeb imitant un Asiatique, et ne pas se l'avouer est un putain de problème.

"Un p'tit truc en plus" est un film problématique à bien des égards. Bien que motivé par une volonté de bien faire, il reflète et renforce des attitudes validistes et infantilisantes qui détruisent les efforts d'inclusion et de respect des personnes handicapées. Plutôt que de célébrer la diversité et la dignité de ces personnes, il les réduit à des caricatures pitoyables.

PS : Si vous souhaitez commenter en disant "je connais une personne handicapée et j'ai bien aimé le film, donc je ne suis pas validiste", je vous encourage à reconsidérer votre position. Ce type d'argument ne tient pas compte des critiques légitimes sur la représentation des personnes handicapées dans les médias.

PS 2 : à toute fin utile.

Pour les "c'est pas possible on a besoin des institutions" (lire CIDPH, Conseil de l'Europe sur la désinstitutionalisation ou lisez ce qu'on à dire ces asso (CLE Autistes, CLHEE, Les Dévalideuses etc.).

Les "joies" de l'institution : https://handiconnect.fr/fiches-conseils/les-violences-faites-aux-personnes-en-situation-de-handicap-adultes-focus-sur-les-violences-conjugales-et-violences-sexuelles

Pour ce qui est possible d'être fait :

https://www.independentliving.org/docs10/Lassistance-personnelle-en-Suede.html#_Toc275341692

https://www.histoiresordinaires.fr/%E2%80%8BEn-Suede-Magnus-et-ses-amis-polyhandicapes-dirigent-leur-association_a1895.html

MatthieuElkiwi
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le 26 mai 2024

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