Un prophète par ldekerdrel
Dire que l'on pense le plus grand bien de la famille Audiard est un euphémisme.
Michel a marqué d'une empreinte indélébile le cinéma français pendant 25 ans entre 1960 et 1985. S'il est une légende du dialogue, il était en revanche un piètre réalisateur. Son Cri du cormoran de soir au dessus des jonques ne valait que par son titre. Idem pour Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canard sauvages, qui malgré répliques cultes et un casting de copains ayant l'air de s'amuser, ne se prenait tellement pas au sérieux qu'il en devenait poussif.
Le cinéma de son fils Jacques pourrait être le négatif de celui de son père. En 5 films, il s'est imposé comme l'un des meilleurs réalisateurs français. Avec un style sans concession, une direction des acteurs sans égale, des sujets complexes et sans aucun artifice, il avait réussit à mettre d'accord la critique et un public loin d'être confidentiel. Depuis Sur mes lèvres, Un héros très discret et De battre mon cœur s'est arrêté, il faisait clairement partie des réalisateurs dont on attend avec curiosité et confiance chaque film.
La réputation qui entourait son dernier film était dithyrambique ; le film avait reçu le grand prix du dernier festival de Cannes. Pourtant la plupart des critiques et observateurs criaient au scandale car pour eux un prophète méritait bien d'avantage.
Isabelle Huppert, la dernière présidente du Jury du festival aurait fait pression et imposé à son jury contre son avis que le dernier film de son ami Michael Hanekke obtienne la palme d'or en lieu et place de Un prophète.
A Cannes les observateurs pronostiquaient à juste titre que le prix d'interprétation masculine se jouerait au coude à coude entre Cristoph Walz pour son interprétation délirante du colonel Hans Landa dans le Inglorious Basterds de Tarantino et le débutant Tahar Rahim pour son rôle de Malik, jeune taulard à la destinée prophétique dans le film de Jacques Audiard.
Toujours à Cannes, Tarantino disait du film de Jacques Audiard qu'il était à ses yeux une claque aussi intense que Le Trou de Jacques Becker.
Une fois l'effet Cannes estompé, les critiques de la presse écrite prirent le relais quelques semaines avant sa sortie en salle en parlant du prophète comme d'un chef d'oeuvre absolu, du meilleur film français de la décennie.
Tous ces éléments pris en compte, c'est dire si l'on était impatient de découvrir le film Un Prophète !!!
A l'issue des deux heures trente de projection, les lumières de la salle qui se rallumaient semblaient être une bouffée d'oxygène salvatrice au regard du coup de poing terrifiant que l'on venait de se prendre.
En effet l'itinéraire de Malik, un jeune délinquant naïf paumé et inculte que ses années de détention transforment en un caïd craint et respecté nous prend à la gorge des les premières secondes du film pour ne plus jamais nous lâcher.
Loin d'être un réquisitoire sur la prison comme école du crime, Un prophète traite d'avantage de la capacité d'adaptation et de l'instinct de survie en milieu hostile.
Jacques Audiard nous raconte cet impressionnant destin de manière brute, linéaire, réaliste avec une mise en scène sans artifice mais complètement maîtrisée. Aucun plan, aucune lumière, aucune prise de vue n'est laissée au hasard. Tout cela donne un film percutant, dur, âpre qui nous scotche à notre fauteuil.
La direction des acteurs est hallucinante. Et pourtant à l'exception de Niels Arestrup, le casting est composé de parfait inconnus.
Tahar Rahim, pour son premier rôle, livre probablement la performance de sa vie. Dans un premier rôle, on ne voit finalement que la performance de Peter O'Toolle dans Lawrence d'Arabie pour rivaliser tant en éclat qu'en intensité avec celle de Tahar Rahim.
Niels Arestrup, dont on avait pu apprécier le talent et le coté machiavélique dans De battre mon coeur s'est arrêté, livre une performance édifiante dont seul semble pouvoir se rapprocher le Jack Nicholson de Shining et des Infiltrés. Son charisme fait de son personnage de caïd corse une bombe à retardement permanente qui inspire la plus profonde frayeur.
Les seconds rôles sont tous aussi justes les uns que les autres.
Le film est un sans faute complet, qui au delà de son histoire s'attarde aussi sur les tréfonds de la conscience de son personnage principal, ainsi que des codes, des castes et de la dureté de l'univers carcéral.
A la vision d'Un prophète, on espère de tout son être de ne jamais se retrouver en prison, même pour quelques jours.
Dire que le prophète est le meilleur film de prison français est un euphémisme. On retirerait volontiers l'adjectif qualificatif "français" de cette affirmation.
On est bien loin de l'Al Catraz de Clint Eastwood et des prisons remplis de prisonniers sympas et humanistes de La ligne verte et des Évadés.
A coté, les prisons de Brubaker et de Luke la main froide sentent bon le carton pâte.
On ne voit finalement que Midnight Express pour nous remuer autant, cependant le film de Jacques Audiard lui est infiniment supérieur.
Un prophète est la preuve irréfutable que le cinéma français peut proposer des films définitifs encrés dans la réalité sans tomber dans les travers "auteurisants", intellocrates et franco-français qui le plombent bien souvent.
C'est aussi une preuve que l'on peut faire des films poignant et spectaculaire sans effets spéciaux, sans casting bankables et sans musique pompeuse à la James Horner, bref qu'il existe une alternative à ces putains de blockbusters.
C'est aussi et surtout la confirmation que Jacques Audiard est un très très grand metteur en scène !!!!